L’erreur de 90% des recruteurs en entretien

J’ai eu une réalisation à force de faire des formations à l’entretien structuré. Cette réalisation c’est que la plupart des recruteurs et recruteuses utilisent les mêmes critères peu importe le job.

Sans même s’en rendre compte.

Le pire c’est que c’est camouflé derrière la culture. On me dit non mais chez nous c’est hyper important d’avoir non seulement des hard skills mais aussi des softs skills.

Et… les “soft skills” (quoi que ça veuille dire) sont apparemment toujours les mêmes dans toutes les entreprises : le dynamisme, le fait de bien présenter, la sympathie …

Ou alors on me dit on cherche quelqu’un avec qui on pourrait aller prendre une bière.

En d’autres termes, on cherche des commerciaux.

Ou, pour être très précis : on cherche des personnes douées en entretien au lieu de chercher des personnes douées dans leur job.

Les candidats professionnels

Photo de Filipp Romanovski

Candidat n’est pas un métier, on l’a déjà dit et redit. Mais pourtant c’est un réflexe dur à surmonter. Même moi j’ai encore du mal alors que je n’arrête pas de l’enseigner. Instinctivement on va avoir du mal à séparer le plaisir qu’on a eu à faire l’entretien et l’évaluation de la personne en face.

Le souci c’est que ça parasite tout. Car on va avoir tendance à surestimer les compétences des personnes douées en entretien et sous-estimer les compétences des personnes nulles en entretien.

Si bien qu’une personne douée en entretien mais nulle à son poste va être mieux vue qu’une personne nulle en entretien mais douée à son poste. C’est le comble. On scie sa propre branche en faisant ça.

Malheureusement, plus on improvise et plus cet effet est fort. Plus on fait un entretien au feeling et plus on est vulnérable. Pourquoi ? Parce que moins un entretien est cadré et plus les gens talentueux en entretien vont se démarquer.

Pour bien le comprendre, prenons un exemple totalement loufoque. Imagine que demain, pour venir à ton entreprise, il faut la trouver au milieu d’une forêt, sans réseau GPS. Maintenant imagine que les gens arrivent devant la forêt sans indication.

Photo de Gabi Repaska

Que va-t-il se passer ? Et bien les personnes qui sont douées en orientation vont trouver plus facilement l’endroit. Elles arriveront à l’entretien moins confuses, moins essoufflées et moins stressées. Il y a alors de grandes chances qu’elles réussissent davantage leurs entretien que les personnes qui sont nulles en orientation. Ces personnes vont arriver confuses, essoufflées, transpirantes. Certaines vont peut-être même abandonner et ne pas se présenter à l’entretien.

C’est injuste. Sauf si le job pour lequel on recrutait c’est guide forestier.

Maintenant imagine que les gens arrivent devant la forêt et que c’est guidé. Avec des panneaux partout, des indications. Des panneaux qui indiquent la bonne voie et le temps de marche, des panneaux qui indiquent quand on est dans la mauvaise direction et comment revenir sur la bonne route…

D’un coup tout le monde est remis sur le même pied d’égalité.

Dans cet exemple loufoque on comprend directement l’intérêt de guider un maximum les candidats.

Prenons maintenant un exemple un peu moins loufoque mais pas directement issu du monde du recrutement.

Quand j’étais en prépa on avait un exercice qui s’appelait la khôlle. C'est une forme de torture moderne où un prof vous met une pression maximale devant un tableau pour vous faire faire un exercice.

J’étais en khôlle de chimie et je n’avais pas bien révisé. Je ne savais donc plus comment différencier une oxydation d’une réduction. Mais il se trouve que je suis très doué dans les oraux. Donc plutôt que de gaspiller du temps à réfléchir ou à paniquer, j’ai juste répondu très rapidement au hasard.

- M. Galita, passons à la première question : c’est une oxydation ou une réduction
- C’est une oxydation
- Ah, ça commence mal : c’est une réduction

Et c’est là que je me dis que je vais tenter le culot. La prof de chimie était jeune, c’était sa première année. Je savais également que c’était dur de prouver formellement sous la pression qu’une réaction est une réduction. Parce que les gens ont tendance à apprendre par coeur. Même à haut niveau. Je sais qu’elle a la bonne réponse parce qu’elle a le corrigé. Mais qu’elle-même aurait du mal à ma place. Je profite également du fait que je sais qu’elle sait que je suis un bon élève. Je lance donc :

- Ah bah non, y’a une erreur dans le corrigé. C’est une oxydation j’en suis sûr à 100%
- Non, non c’est bien une réduction
- Dans ce cas là, prouvez-le moi

Confiante, elle se lance dans la démonstration. Ce n’est pas si dur mais c’est fastidieux. Dur à faire sous la pression. Elle commence à s’emmêler les pinceaux. Et elle finit par lâcher :

- Ok je n’y arrive plus à faire la démo mais je suis sûre à 100%
- …
- Bon, je vous laisse le bénéfice du doute Galita, je vous mets les points et on passe à la question suivante

Voilà.

Est-ce que j’ai démontré ma compétence en chimie dans cet échange ?Pas du tout. J’ai juste montré que j’étais doué dans les oraux.

C’est pareil en entretien. On doit faire très attention à ne pas proposer des entretiens qui favorisent les gens doués en entretien. Or, plus on laisse la place à l’improvisation et plus ça va être le cas.

Dans le cas de ma prof de chimie, elle n’aurait pas pu se laisser arnaquer par moi si elle avait écrit la démonstration avant de faire l’oral.

Moins on prépare son entretien et plus on est vulnérables face aux personnes qui improvisent bien.

Je connais d’ailleurs des personnes qui sont si douées en entretien qu’elles embarquent n’importe quel recruteur en disant les bons mots au bon moment, les bonnes blagues au bon moment, etc.

Mais ça ne marche que si l’entretien est fait au feeling.

L’exemple de la question des qualités

Photo de The Jopwell Collection

Encore un exemple tiré de mes formations. J’expliquais pourquoi la question des qualités était une mauvaise question.

On en a déjà parlé dans cet article : https://blog.lecoledurecrutement.fr/eviter-questions-entretien/

Un des problèmes de cette question c’est qu’elle n’est pas ciblée : on demande à la personne de proposer des qualités sans lui demander des relier au poste. Du coup on se retrouve avec plein de gens qui nous énumèrent des qualités qui n’ont aucun rapport avec le poste en question. Ça sert à quoi ?

Un autre problème c’est qu’on demande aux gens de s’auto-évaluer (alors que c’est pourtant notre métier à nous de les évaluer) et que c’est compliqué. Beaucoup de gens ignorent leurs propres qualités.

Une participante m’a alors dit bah justement, je pose la question comme ça je peux voir si la personne me donne spontanément une qualité en lien avec le poste.

Mais pourquoi ?

Pourquoi est-ce qu’on cherche des gens qui vont spontanément comprendre ce qu’on attend vraiment derrière l’énoncé flou ?

Pourquoi ne pas les guider ? Pourquoi ne pas leur dire ?

En faisant ça on fait comme avec la forêt : on rajoute un obstacle qui n’est pas lié au poste. Là encore, ce sont les candidats doués en entretien qui vont briller. Les commerciaux.

Elle a alors rajouté que justement ça permettait d’évaluer l’intelligence émotionnelle du candidat.

Mais là encore… pour quoi faire ?

On l’a déjà vu dans cette conférence, mais l’intelligence émotionnelle est en réalité l’expression d’une personnalité socialement désirable. Encore une fois… un commercial.

Pourquoi rechercher ça ? Pourquoi chercher quelqu’un de mondain qui va savoir faire rire au bon moment, comprendre les non-dits derrières les questions, etc.

L’exemple de la motivation

Photo de Jen Theodore


Il en va de même avec la motivation. On me dit non mais moi si la personne ne s’est pas renseignée un minimum sur l’entreprise c’est un signe négatif.

Ah bon ? Mais pourquoi ?

Si je veux que la personne se renseigne sur mon entreprise en allant sur une page précise de mon site web (qui, au passage, est souvent très mal fait) alors pourquoi je ne lui dis pas explicitement ? Pourquoi faire le coup de la forêt ?

Parfois j’ai l’impression que c’est juste de l’égo : on voudrait que les gens nous caressent dans le sens du poil. J’hallucine à chaque fois qu’un recruteur me dit j’enlève des points si y’a pas de lettre de motivation, même si je ne la lis jamais.

On confond évaluer et juger.

Et surtout on confond évaluer si une personne est une bonne candidate avec évaluer si une personne sera une bonne recrue.

Pire encore, j’ai un candidat qui m’a raconté qu’il avait été éliminé d’un process de recrutement à la toute fin, après plusieurs entretiens. Parce qu’il a demandé est-ce que vous pouvez me réexpliquer ce que vous vendez ? Je ne suis pas sûr d’avoir bien compris.

Ça a fâché qui ? Pas le manager bien sûr. Ça a fâché la RH.

Alors que, de l’aveu même du manager, lui-même a mis plusieurs semaines après son intégration avant de comprendre ce que l’entreprise vendait.

Là encore, quelqu’un qui aurait des compétences commerciales aurait compris que poser la question comme ça risquait de vexer. La RH en question ce qu’elle aurait voulu c’est qu’on la brosse dans le sens du poil. Une personne commerciale l’aurait senti.

Mais c’est une attitude suicidaire. Déjà que c’est dur de ne pas se faire arnaquer par les personnes douées en entretien… si en plus on le demande ?

En faisant ça c’est comme si on marquait sur notre front ce que j’aime c’est quand on m’arnaque, je veux des gens doués en entretien.

Le poste en question n’était pas un poste de commercial.

Parce que, oui, les profils commerciaux sont très doués à afficher la motivation. La motivation ça se falsifie assez facilement. Avec de l’enthousiasme.

Mais notre métier n’est pas d’évaluer la motivation, on l’a déjà vu ici : https://blog.lecoledurecrutement.fr/recruter-motivation/

L’exemple du savoir-être

Photo de Arthur Yeti

Parfois on me dit non mais ce qu’on veut c’est évaluer le savoir-être des candidats, c’est ça qui est important.

Rarement ça veut dire qu’on cherche à évaluer une correspondance entre la personnalité du candidat, son poste et la culture de l’entreprise. Bien plus souvent ça veut dire qu’on veut une personne polie, positive et charismatique.

Je me répète donc tu sais ce que je vais dire…

Bien plus souvent on décrit encore une personne avec les attributs d’un bon commercial.

Alors qu’il y a plein de métiers qui ne nécessitent absolument pas ces attributs. Par exemple, le mien. Une personne trop attachée à la politesse et au respect des règles fait rarement un bon prof. Pourquoi ? Parce que la curiosité est reliée à l’irrévérence. Pour apprendre de nouvelles choses il faut un minimum de défiance envers la tradition.

Ce n’est pas un hasard si les profs de l’éducation nationale sont souvent de gauche. Ça va avec ce cocktail de personnalité. Mais c’est un autre sujet.

J’ai même vu des offres d’emploi où on recherche une personne dynamique pour faire de la comptabilité. Quel est le rapport ? Surtout que c’était le seul critère de personnalité indiqué.

Là encore, on est en train d’optimiser notre plaisir en entretien au lieu d’optimiser l’évaluation des compétences.

L’absence de critères directement liés à l’emploi gâche tout

Photo de Kamil Pietrzak

Au final, ce qui ressort dans tous ces exemples c’est le fait de ne pas choisir des critères directement liés à l’emploi.

Comme on ne sait pas quoi évaluer on évalue des choses au hasard. Comme on ne sait pas évaluer les compétences on évalue les compétences à faire un bon entretien.

Il en va de même avec l’obsession qu’on peut avoir pour les hobbies. Une apprenante m’a dit en formation qu’elle allait dans les clubs de rugby pour recruter. Parce que quelqu’un qui fait du rugby a forcément des valeurs du sens du collectif.

Au-delà du fait que ça soit un cliché, est-ce que le sens du collectif est important pour tous les jobs ?

On confond encore le bon candidat et le bon employé. On confond la candidate douée en entretien et la candidate douée en poste.

Et je pense que c’est parce qu’on ne fait pas l’effort d’analyser le poste. En effet, nous ne pouvons pas connaître tous les jobs. La plupart des recruteurs ont eu moins de deux expériences autre que le recrutement avant d’arriver sur ce job. Et même une personne qui aurait fait 10 jobs avant d’être recruteuse… ça n’est pas suffisant pour connaître tous les jobs qu’elle va recruter.

Pour compenser ça, il faut mener une analyse de poste. Se poser avec le manager ou le client pour bien déduire les critères directement liés au job.
Pourquoi la plupart des recruteurs utilisent des critères liés au job de commercial pour tous les métiers ? Parce qu’ils ne font pas l’effort de faire cette phase.
C’est pourtant là que réside notre expertise. Dans la capacité à se poser avec le manager et mettre en forme les critères que l’on recherche sur le poste. C’est-à-dire pas uniquement en disant “leadership”, mais en détaillant. Par exemple :
Leadership

  • Capacité à tenir tête à la hiérarchie pour protéger ses collaborateurs et collaboratrices
  • Capacité à motiver son équipe via des prises de paroles en public
  • Sens de la justice pour ne pas infuser un sentiment de favoritisme
  • Savoir ménager les équipes au bon moment et leur demander des montées en charge au bon moment


J’ai totalement inventé et écrit n’importe quoi. Mais c’est pour montrer comment détailler un critère à partir d’éléments tangibles du poste.

Malheureusement, notre incapacité à définir des critères directement liés au job ne nous portent pas préjudice qu’à nous-même. En effet, c’est aussi comme ça que s’infiltre la discrimination. Quand on ne fixe pas les critères directement liés au job, on a tendance à prendre des critères discriminants, des critères de gendre idéal.

Pire encore, on va même changer les critères pour favoriser les hommes plutôt que les femmes. Comme on l’avait vu dans cette étude : https://blog.lecoledurecrutement.fr/erreur-briefs-de-poste-recrutement/

Que faire ?

Photo de Jordan Madrid

Une fois qu’on a dit ça, la solution devient évidente (ce qui ne veut pas dire que ça soit facile) : il faut s’obliger à définir des critères directement liés au poste. On s’interdit formellement de justifier les critères indirects. Du type non mais en posant cette question je veux voir si la personne a assez de recul pour donner des qualités liées à son job.

Dès qu’on doit faire un chemin de plus d’une étape pour relier le critère au job alors il y a un problème.

Si j’évalue le “dynamisme” je dois pouvoir le relier directement au poste. Je dois pouvoir raconter une histoire où quelqu’un a eu une mauvaise performance parce qu’il manquait de “dynamisme” ou alors au contraire une bonne performance car il avait du “dynamisme”.

Exemple #1 : je veux quelqu’un qui sache sourire toute la journée à ce poste car c’est un poste d’accueil de la clientèle. La personne devra donc pouvoir sourire aux clients.

Ça c’est direct. C’est un bon critère

Exemple #2 : je veux quelqu’un qui sache sourire c’est important : c’est un poste de comptable. Même si la personne aura rarement des contacts externes, c’est important.

Ça c’est indirect. C’est un mauvais critère. En fait ce qu’on dit c’est que ça nous ferait passer un meilleur entretien. Certes. Mais ce n’est pas la question.

Exemple #3 : je veux un homme car on va devoir porter des charges lourdes dans ce poste.

C’est indirect, c’est un mauvais critère. Et discriminant au passage.

Exemple #4 : je veux des personnes capables de porter des charges lourdes pendant toute la journée car c’est une des tâches du poste. Donc je vais évaluer l’envie et la capacité à porter des charges.

Là c’est direct, c’est un bon critère.

La bonne nouvelle c’est qu’il existe des méthodes pour avoir la garantie de produire des critères directement liés à l’emploi. La méthode des incidents critiques par exemple. Mais ça n’est pas l’objet de cet article.

Ceci dit, c'est l'un des objets de notre formation :)

Les commentaires