Pourquoi le recrutement est-il si souvent mal fait ?
Après le réveil du recrutement sur l’écriture, celui sur le temps et celui sur l’indépendance du recrutement, voici le replay de la quatrième édition du réveil du recrutement !
Ainsi que les slides :
Avant de commencer, petit conseil de lecture : lisez tout jusqu’au bout avant de réagir. Ou alors lisez directement la dernière phrase.
C’est une question qui me traverse très souvent : pourquoi le niveau global dans le recrutement est si bas ? Regardez les annonces par exemple. Pourquoi sont-elles systématiquement si mauvaises ? Alors que tout le monde est capable de voir qu’elles sont mal écrites. Y compris les gens qui les postent.
Or, l’histoire économique nous apprend qu’il faut être particulièrement vigilant à ce genre de configurations. On parle « d’ubérisation » à tort et à travers. À tel point que j’ai fait une overdose de ce mot. Mais on oublie souvent un point essentiel : personne ne se fait ubériser. On s’ubérise toujours soi-même. Que propose Uber de plus sur le marché des Taxis ? Des chauffeurs sympathiques, des bouteilles d’eau, et une application qui fonctionne. Rien de bien extraordinaire.
La première fois que j’ai pris un Uber, je me suis juste dit « ah…tiens c’est juste un taxi qui fonctionne normalement ». Les taxis faisaient juste très mal leur métier. Personne ne les a ubérisé.
Il en va de même pour la plupart des marchés que vous voyez se faire « ubériser ». Généralement, vous avez les mêmes caractéristiques d’un marché défaillant. Comme par exemple le fait d’accepter un comportement que l’on n’accepterait pas sur un autre marché. On acceptait qu’un taxi refuse une course en nous répondant que ce n’était pas sur sa route, ou que c’était trop loin. On accepte qu’un recruteur ne réponde pas aux candidatures qu’il a lui-même sollicité.
On accepte qu’un recruteur écrive « si vous n’avez pas de réponse d’ici 3 semaines alors considérez que nous n’avons pas donné suite à votre candidature ». Alors qu’on bondirait si un commerçant nous disait « si vous n’avez pas de réponse d’ici 3 semaines, considérez que nous n’avons pas donné suite à votre réservation ».
Le constat
Constatation #1 – La communication est déplorable
Quand on regarde la moyenne des annonces, des messages d’approche, des messages vocaux…il y a de quoi avoir froid dans le dos.
Vous vous rappelez de la fois où on m’a fait la blague de mettre un faux CV de développeur Java, à mon nom ? Le plus choquant n’a pas été de recevoir 80 sollicitations en 5 jours. Le plus choquant c’est que les messages étaient quasiment tous les mêmes.
Cet effet perroquet était particulièrement saisissant. Si bien que si j’avais vraiment été développeur Java, il m’aurait été impossible de faire un choix éclairé. Car, non seulement tout le monde écrit la même chose, mais en plus ils n’écrivent pas grand chose. Je veux dire par là qu’ils n’écrivent pas grand chose de signifiant. La plupart des messages sont transparents et se contentent de broder et de meubler pour cacher qu’ils tiennent en une seule phrase : « j’ai la flemme d’écrire et de travailler mais rappelez-moi, s’il vous plaît ».
Et comme si « perroquets » et « transparents » n’étaient pas déjà suffisant, se rajoute une troisième tare : le ton robotique. Le tout est écrit sur un ton tellement froid, tellement désincarné, tellement administratif qu’on dirait qu’un robot l’a écrit.
Constatation #2 – L’insensibilité
Oubliez toutes ces fadaises lénifiantes autour du thème de l’humanité. Vous savez ? « Je fais du recrutement pour l’humain » (on reconnaît d’ailleurs la langue de bois au fait que plein de gens se mettent à répéter des fautes de syntaxe). En vrai, le recrutement est dans une configuration qui déshumanise extrêmement vite.
On retrouve là encore la même situation que les taxis. Ce n’est d’ailleurs pas nouveau. Depuis Montesquieu (qui est né exactement 320 ans avant Uber) on sait que quiconque a du pouvoir est porté à en abuser. Jusqu’à en trouver la limite. Or, l’abus de pouvoir est extrêmement fréquent dans le recrutement.
Traiter une file d’attente comme on le fait, c’est de l’abus de pouvoir. Il n’existe aucun autre marché où on accepterait une gestion par le silence d’une file d’attente. Acceptez-vous quand vous entrez dans une boutique et qu’on vous snobe ? Même si vous n’avez rien acheté ? Même si vous n’êtes pas la clientèle ?
Le silence est la forme la plus puissante du mépris. À force de traiter les gens comme des RESSOURCES humaines on les objectifie au point de se dire que la réponse est optionnelle. C’est le syndrome du film d’horreur.
Vous savez ? Dans les films d’horreur, tant que le héros ne meurt pas, vous pouvez voir des milliers de morts et être content à la fin. Il en va de même quand on met des annonces en ligne. Tant qu’on répond aux gens qu’on voit en entretien, on est content. Des fois c’est même pire : tant qu’on répond à la personne qu’on retient (puisque 79% des candidats ont déjà vécu un entretien sans nouvelles ensuite).
Ce réflexe du recruteur possédant le pouvoir est malheureusement solidement ancré dans les imaginaires. On peut le sentir quand un recruteur dit « il ne m’a pas répondu, il n’était pas motivé ». Alors que si ça se trouve c’est le message qui n’était pas intéressant. Je ne vous parle même pas de tous les gens qui font des entretiens collectifs et se plaignent d’avoir des gens qui ne s’y présentent pas.
Je me rappelle d’un cours avec Jennifer Boukris (joyeux anniversaire au passage ^^) où l’on avait orienté le débat sur la lettre de motivation. La conclusion était quasiment unanime : inutile car on ne la lit plus.
Rien d’inattendu jusque là. Ce qui m’a surpris c’est quand une étudiante qui venait de dire qu’elle ne lisait pas les lettres de motivation a rajouté : « par contre, si un candidat ne fournit pas de lettre de motivation, je ne regarde pas son CV »
– Mais ? Tu viens de dire que tu ne lisais pas les lettres de motivation !
– Oui, sauf que lui il ne le sait pas. Et c’est pas à lui de décider !
– Pourquoi ?
– Je sais pas c’est comme ça ?
– En fait tu veux juste garder le pouvoir !
– Ça doit être ça.
Encore une fois : réflexe de position de pouvoir.
Constatation #3 – Les bons recruteurs
Malgré cet environnement hautement toxique, vous avez évidemment des bons recruteurs. Mais ce qui est surprenant c’est que la plupart d’entre eux et d’entre elles n’ont aucune idée de tout ce que je viens de dire. Ils sont tellement centrés sur leur métier qu’ils ne voient plus le niveau des autres autour. Au point que la plupart ne me croient pas quand je raconte à quoi ressemble le message d’approche moyen.
Par ailleurs, ce n’est pas un hasard s’ils sont souvent immergés dans des conditions très particulières. Ils sont souvent dans des niches de marché qui échappent aux conditions de toxicité précédentes. Par exemple, on en trouve beaucoup chez les recruteurs qui recrutent des développeurs. Parce que c’est un marché ou le rapport de force est inversé. Il y a donc une prime à ceux et celles qui font autre chose que les approches copiées-collées. J’observe le même phénomène dans les tout petits cabinets qui se battent pour avoir des missions.
C’est un phénomène important car il nous donne un indice : le marché est plus fort que les individus. Le système est plus puissant que les personnalités qui le composent.
Les racines du mal
#1 – La puissance du système
Dans les pays où il faut cocher une case pour donner ses organes (opt-in), vous avez un taux faible de donneurs d’organes. Dans les pays où il faut cocher une case pour refuser de donner ses organes (opt-out) vous avez un taux élevé de donneurs d’organes. C’est un phénomène psychologique surpuissant mais souvent ignoré.
Confronté à une décision difficile, le cerveau a tendance a choisir le chemin avec le moins d’efforts. Donc le choix par défaut. Pourtant si l’on questionne les gens, ils ne diront pas « j’ai répondu ça car le formulaire m’y a poussé » mais se raconteront une histoire pour justifier leur choix a posteriori. Forcer le choix peut changer totalement son issue.
L’impact de l’environnement est donc incroyablement puissant…et inconscient. Mais pensez-y deux secondes…avez vous déjà remarqué que les acteurs économiques possédant un monopole avait une fâcheuse tendance à abuser de ce pouvoir ? Pensez aux opérateurs téléphoniques, aux banques, aux taxis. Quand les clients sont captifs, vous n’avez plus beaucoup d’incitation pour vous améliorer.
Qu’est-ce qu’un marché captif ? C’est quand le client ne peut pas vous remplacer par quelqu’un de meilleur. Ce qui crée un monopole de secteur. Vous avez beau avoir plusieurs banques : elles proposent globalement toutes le même service et pratiquent toutes les mêmes absurdités. Ce qui veut dire que procurer un mauvais service client ne sera pas puni économiquement.
Or, quand un marché est captif, pourquoi prendre des feedbacks ? Quand un marché est captif, pourquoi chercher à s’améliorer ? Combien de recruteurs ont déjà demandé aux candidats ce qu’ils pensaient de leur processus de recrutement, annonce comprise ?
#2 – La déconnexion du terrain
Il n’y a rien de plus dangereux que de perdre le contact avec le terrain. On finit par oublier ce que c’est que d’être client ou candidat. C’est le syndrome Jean-François Copé. Vous savez ? On lui demande combien coûte un pain au chocolat et c’est le drame. Il ne le fait évidemment pas exprès. Il est juste totalement ignorant de cette réalité car il ne la vit plus.
Mais que disait-on ? Le système est plus puissant que les individus. Ce n’est donc pas Copé le souci. Regardez NKM incapable de savoir combien coûte un ticket de métro. La même qui proclame trouver des moments de grâce dans le métro. Regardez Myriam El Khomri, ministre du travail, échouer à répondre à la question « combien de fois peut-on renouveler un CDD ».
Tous ces gens ne sont ni nuls, ni malveillants : ils sont juste coupés de cette réalité. L’absence de feedback finit par vous faire sombrer dans l’effet bulle.
#3 – Le rapport de force
On en vient à être tellement hors sol qu’on sort des âneries comme « on ne veut pas améliorer le design et l’ergonomie de notre site carrières car avoir un mauvais site permet de faire le tri entre les gens qui veulent
vraiment postuler et les autres ». Le pire c’est qu’on le pense vraiment et que tout le monde autour de soi le pense aussi. Vous n’imaginez pas le nombre de fois que j’ai entendu cette phrase. Il suffit de demander « vous pensez que vous attirez les plus motivés ou les plus désespérés, du coup ? », pour que d’un coup tout le monde se réveille brutalement de sa léthargie. Sauf que plus personne ne se pose la question.
Le rapport de force est tellement déséquilibré en faveur des recruteurs qu’aucun candidat ne leur dira jamais. Comme pour les appartements parisiens. Tout le monde trouve ignoble de faire des visites collectives. Mais personne n’osera le dire. Le rapport de force est tellement en faveur du propriétaire que les gens sont prêts à tout et d’abord à se taire. Il en va de même pour les entretiens collectifs. Personne ne vous dira en face que c’est déshumanisant. N’oubliez jamais que le rapport de force pousse les gens à accepter l’inacceptable. Voici un email qu’une amie a reçu :
Et on n’a pas été le chercher bien loin, donc ce n’est pas quelque chose de rare. Pour en arriver à écrire un email pareil, il faut un rapport de force sacrément déséquilibré.
#4 – Les forces externes
En plus de tout ça, vous avez des puissances externes qui s’exercent sur les recruteurs. La première c’est la viralité de la médiocrité. Puisque tout le monde écrit de mauvaises annonces, alors ça devient plus facile d’écrire une mauvaise annonce. On a même peur d’en écrire une bonne pour ne pas sortir du rang.
Ensuite, vous avez l’effet désastreux de la culture RH. Cette culture administrative dont on a déjà parlé ici et qui nous fait écrire comme des contrôleurs des impôts.
Vous avez également évidemment le problème de formation, puisqu’il n’existe pas vraiment de formation académique au recrutement. Or, quasiment rien de ce qu’on enseigne en cursus RH ne vous permet d’apprendre le recrutement (le sourcing étant quasiment absent).
Enfin, l’illusion de l’entretien rend vite arrogant. Il faut faire très attention : on a vite fait de se croire doué en entretien. Alors que la plupart d’entre nous sommes très mauvais. Le problème c’est que, contrairement au sourcing, vous n’avez aucun feedback dans l’entretien. Si vous ratez votre sourcing, vous le voyez immédiatement. Si vous ratez votre entretien, vous ne le saurez jamais. Pire encore, plus on est mauvais et plus on a tendance à se croire bon. Plus on commence à croire qu’on possède un fluide magique qui nous permet de lire les gens et plus il devient facile de se faire rouler par un candidat qui sait faire des sourires au bon moment.
Les fausses excuses
« Je n’ai pas le temps »
Depuis la seconde édition du réveil du recrutement, vous savez que c’est toujours une fausse excuse. Le manque de temps n’existe pas. Ce qui existe c’est principalement le manque de priorité. Je me rappelle d’un recruteur qui m’a raconté qu’il pensait ne pas avoir le temps de répondre aux candidats, jusqu’au jour où on lui a mis un variable sur le taux de réponse. Depuis, il répond à tout le monde ! C’est donc bien une affaire de priorité.
« Je n’ai pas les outils »
Si vous n’avez pas la volonté, les outils ne vous servent à rien. L’ordre normal des choses c’est d’essayer sans outil PUIS de se procurer un outil quand on atteint les limites de ses capacités. Ce n’est pas de rester les bras croisés en attendant qu’un outil nous sauve.
Vous n’imaginez pas le nombre de gens que j’ai eu en formation qui m’ont dit « je ne me suis pas intéressé par LinkedIn car je n’ai pas la licence Recruiter ». Et à la fin de la journée me disent « Waouh, je ne savais pas qu’on pouvait en faire autant avec un compte gratiuit. Je vais commencer par ça ».
Bien sûr que vous ne pouvez pas courir la finale du 100 mètres avec des claquettes. Mais quand vous débutez, vous n’avez pas besoin des chaussures dernier cri pour commencer à vous entraîner.
« C’est la direction qui ne veut pas »
Là encore, on rejette la faute sur quelque chose qui n’est pas là pour se défendre. Ce qui est marrant c’est que souvent on s’auto-censure. Et, au lieu de réaliser que c’est de l’auto-censure, on dit que c’est la direction. Grand classique.
« Répondre à tout le monde est impossible »
Bien sûr que si c’est possible. Après, est-ce que c’est possible dans un temps qui en vaille la peine ? C’est encore autre chose. Si vous voulez des idées, voici un article qui propose quelques solutions.
Notamment la magie de la segmentation qui permet de parler de manière différenciée à des foules sans leur écrire un message personnel. Ainsi que l’instauration d’un seuil maximal de candidatures reçues avant suspension temporaire de l’offre, le temps d’y travailler. Une gestion normale de la file d’attente, en somme.
« Moi je n’aurais pas aimé que »
On avait appelé cette réaction, l’effet Trump. L’effet Trump c’est cette propension à croire que tout le monde vote comme vous, tout le monde mange comme vous, tout le monde pense comme vous, tout le monde réagit comme vous. Puis un jour vous réalisez que Trump vient de gagner. Vous croyez que vous n’êtes pas touché par cette erreur ? C’est que vous êtes encore plus touché !
Amélie Collinet m’a récemment dit une phrase clé : « en termes de message d’approche, plus je pense que quelque chose ne marchera pas et plus ça marche. Donc j’ai arrêté de me fier à mon a priori et je me suis mis à tout essayer ».
Ce n’est pas parce que vous aimez les messages vocaux que votre cible aime les messages vocaux. Je déteste ça par exemple. Si vous voulez me joindre, vous pouvez essayer pendant longtemps par ce canal. Mon message vocal non écouté le plus vieux date du 16 juin 2016 ! À l’inverse, si j’étais recruteur, ce serait une erreur de ma part de ne pas utiliser ce canal avec les candidats qui l’apprécient.
Ce n’est pas parce que vous ne savez pas utiliser Facebook qu’on ne peut pas recruter avec. Ce n’est pas parce que vous savez utiliser un téléphone que les gens préfèrent le téléphone. Ça fait mal mais…vous n’êtes pas la mesure universelle de ce monde.
« Mon secteur/ce métier est différent »
Un grand classique de la résistance au changement. Vous n’imaginez pas le nombre de gens qui me disent « mon secteur est différent » et qui font EXACTEMENT comme tout le monde. C’est presque déstabilisant quand on débute dans le métier de la formation.
Pareil, dire « on n’écrit pas à un comptable de 50 ans comme on écrit à un jeune diplômé » est le plus souvent une excuse pour ne pas travailler et continuer à copier-coller des messages en langue de bois. Tous les êtres humains préfèrent les messages bien écrits aux messages mal écrits.
« C’est un métier humain »
Sachant que c’est un des métiers les plus déshumanisants du monde, j’éclate de rire intérieurement à chaque fois que j’entends cette phrase. Y’a rien de plus anormal que le recrutement. Ça vous arrive souvent dans la vie, de rencontrer des inconnus et de leur poser des questions pendant 1h30 ? Unilatéralement en plus ?
Ça vous arrive souvent dans la vraie vie, de ne pas répondre aux gens qui vous parlent ? Ça vous arrive souvent dans la vie de renter dans une boulangerie en disant : « Madame la Boulangère, votre boulangerie ayant retenu toute mon attention, je me permets de passer la porte de votre établissement afin que je puisse vous parler d’une opportunité professionnelle. En effet, je suis prêt à vous rémunérer contre cette structure panée que vous avez confectionnée. »
Il n’y a rien de naturel dans les interactions suscitées par le recrutement. C’est d’ailleurs pour ça que c’est aussi dur : il faut être capable de reproduire le naturel…artificiellement. Tout un paradoxe.
« C’est la faute des candidats »
Sans commentaire. Malheureusement j’ai vu cette faute même chez des recruteurs talentueux. La tentation de se plaindre en public des candidats. Très mauvaise idée. Imaginez un commercial qui se battrait avec un client parce que ce dernier l’a insulté ? Vous pensez que son manager serait compatissant ? Bien sûr que non. Pourquoi ? Parce que client n’est pas un métier ! C’est le commercial qui est payé à la fin du mois.
De la même manière, on oublie bien vite que candidat n’est pas un métier. Se plaindre des candidats c’est un peu comme si un sauteur à la perche se plaignait d’avoir un sol trop bas.
Accepteriez-vous ces excuses vous-mêmes ?
Réfléchissez-y quelques secondes… que penseriez-vous d’une profession qui se justifierait ainsi ? Que pensez-vous quand un livreur ne trouve pas votre adresse et ne vous délivre pas votre colis à temps ? Comment réagissez-vous quand la SNCF annule votre train, sans vous tenir au courant et en communiquant en langue de bois (comme on le fait sur nos annonces) ?
Êtes-vous compatissant ? Bien sûr que non : en tant que client vous n’en avez rien à faire des fausses excuses. Pourtant, convenez avec moi que la SNCF fait un métier un million de fois plus compliqué que la plupart des recruteurs.
On a dû mal à répondre à une centaine de candidatures ? La SNCF gère 15 000 trains par jour ! Un train toutes les dix minutes. La RATP gère jusqu’à 700 000 voyageurs par jour sur la ligne 1 du métro. Et pourtant personne n’accepte qu’un métro ait 4 minutes de retard. Alors que dans les deux cas on parle d’un niveau de logistique extrême. Il y a des vies en jeu (un accident de train arrive plus vite qu’on ne croit), des enjeux complexes d’optimisation, des équations que les mathématiques ne savent pas résoudre simplement, etc.
Pourtant, par définition, les clients et les utilisateurs se moquent de vos problèmes internes : ils ont été habitué à recevoir des services de qualité.
Les solutions
Solution #1 – Se recentrer sur l’art de la conversation
Le recrutement est une conversation. Pas un monologue. La première étape est donc de sortir de son égocentrisme naturel. Tout ne tourne pas autour des besoins du recruteur. Tout ne tourne pas autour de sa vision.
(La planche originale est à retrouver sur l’excellent Commitstrip)
Une fois que c’est fait, il faut se concentrer sur le niveau d’écriture. L’écriture est un des piliers du recrutement. Plus précisément : l’écriture de persuasion. Si vous copiez-collez vos annonces, vous aurez des candidatures copiées-collées. Si vous n’écrivez pas vos messages d’approche, pourquoi vous répondrait-on ?
Rien de tout ça n’est nouveau, rien de tout ça n’est du recrutement 2.0, rien de tout ça n’est du e-recrutement. On parle ici d’une notion vieille comme les auberges : le service client. J’ai récemment lu « les recruteurs doivent DESORMAIS tenir compte de l’expérience candidats ».
Ce n’est pas « désormais ». Ça a toujours été le cas. Ce n’est pas la nouvelle école que de tenir compte du parcours candidat, c’est la bonne école. Ce n’était pas l’ancienne école que d’ignorer le parcours candidat, c’était la mauvaise école. Ce n’est pas du recrutement classique ou traditionnel, c’est du recrutement mal fait.
Encore faut-il en prendre conscience et développer une culture du feedback, pour éviter le piège mortel d’un marché captif. Pour éviter de finir déconnecté de la réalité comme un homme politique. Discuter avec des candidats (recrutés et non recrutés) à l’issue du processus est une mine d’or d’information. Mais avant cela, développer une culture de l’auto-feedback est également profitable. Je ne compte plus le nombre d’entreprise où je vais chercher une de leurs annonces pour la donner à lire et on me répond « mais c’est une vraie annonce de chez nous ? ». Pire encore j’ai eu « Non. Dans nos annonces il n’y a jamais cette rubrique, ça ne peut pas venir de notre site ».
Pourquoi ? Parce que les gens ne lisent même plus leurs propres annonces. Il ne testent plus les parcours candidats. Ils en arrivent à ignorer le contenu de leur propre site carrière.
Solution #2 – Sortir de sa naïveté
Arrêter de se plaindre et se prendre en main est un bon début. La tactique c’est faire ce qu’on peut avec ce qu’on a. Pas se plaindre de ce qu’on n’a pas.
De même, s’éduquer à la psychologie humaine est une bonne piste. Je suis effaré par le nombre de gens qui répètent « c’est un métier humain » mais n’ont jamais ouvert le moindre bouquin de pyschologie ou de sociologie. Par exemple dire « il n’a pas répondu à mon message d’approche DONC il n’est pas intéressé/motivé » relève d’une naïveté incroyable sur les mécanismes de motivation.
À cet égard, vouloir en dire le plus possible et proposer un poste dès le premier message, c’est encore un comportement de débutant en vente (et je le dis d’autant plus sereinement que j’ai commencé comme ça, comme tout le monde). En fait, on pense qu’on va conclure la vente plus rapidement. Alors qu’en fait, un prospect/profil aura toujours besoin de développer un minimum de relation avec vous avant de devenir un client/candidat. Même si vous avez le produit/poste idéal pour lui. On est des êtres humains et on a besoin de créer un minimum de relation avant de s’investir. C’est pour ça que quand vous rencontrez un inconnu vous commencez par lui parler de la pluie, du beau temps ou des transports en commun.
Ensuite, penser que parce qu’on a une marque connue, on peut se passer de travailler son sourcing n’est que pure folie. Ce n’est pas parce que vous avez un flux entrant de candidatures que vous devez vous reposer entièrement dessus.
Enfin, croire qu’on est bon en entretien est la naïveté ultime. Surtout si on fait un entretien non-structuré. L’efficacité d’un entretien non-structuré a déjà été calculée, il y a 20 ans, par les sciences sociales : 14% de prédiction de la performance. 14% c’est pathétiquement faible. C’est comme si à chaque fois qu’on vous demande « quel jour est-il ? », vous répondiez complètement au hasard. Vous trouveriez la bonne réponse une fois sur sept.
Il faut donc réussir à garder son humilité et admettre que l’entretien est une discipline si complexe que personne ne la maîtrise vraiment.
Solution #3 – Changer de posture intellectuelle
Plutôt que de se plaindre des candidats, mettez-vous dans la posture des meilleurs vendeurs : le client est roi. Mettez-vous dans la posture des meilleur pédagogues : il n’y a pas de mauvais élèves, que des mauvais profs. Vous verrez : c’est libérateur.
De même, une fois que vous avez pris conscience que la plupart des recruteurs sont mauvais vous pouvez réaliser qu’il est complètement déconseillé de répéter bêtement les pratiques moyennes du secteur. Développez un sens critique pour fuir les pratiques absurdes. La langue de bois par exemple. Ce n’est pas parce que tout le monde écrit en langue de bois que c’est efficace.
Enfin, il n’y a pas de secret : pour s’améliorer il faut se former, en permanence. Il ne se passe pas la moindre semaine sans que je n’apprenne quelque chose de nouveau. Je vous invite à cultiver ce même état d’esprit. Vous n’avez plus d’excuses : quand j’étais recruteur il n’y avait pas grand chose de disponible en français pour se former au recrutement. Aujourd’hui vous avez une explosion du contenu en français. Gratuit comme payant. Si vous dites une phrase comme « je connais mon métier, je n’ai pas le temps de me former », vous êtes déjà virtuellement mort.
Après…j’ai un conflit d’intérêt évident puisque c’est notre métier de vendre de la formation (d’ailleurs si vous voulez en discuter ce sera avec plaisir par ici)
Conclusion
Au final, je ne vous ai pas livré le vrai fond de ma pensée sur cette question. Je ne pense pas que la plupart des recruteurs sont mauvais. Je pense que la plupart des gens qui font du recrutement le font mal. La nuance est importante. Parce qu’en vrai il existe très peu de recruteurs. (C’était ma septième théorie, rappelez-vous). L’immense majorité des gens sont des gens qui font du recrutement. De la même manière que je fais de la cuisine sans pour autant être un cuisinier. De la même manière que l’immense majorité des brasseries à Paris ne font pas de la cuisine (merci les surgelés).
Les recruteurs ne sont pas mauvais, ils sont rares. Pour plein de raisons. Notamment le fait que le recrutement n’est pas valorisé et est présenté comme un métier de transition en attendant de faire des choses plus intéressantes. Notamment parce que beaucoup de gens font du recrutement entre autres tâches et quand ils ont un vrai besoin, font appel à un cabinet.
Or, maintenant que vous avez vu les puissances en jeu, vous comprenez que quelqu’un qui n’est pas passionné par le recrutement n’a aucune chance de résister à toutes les tentations de mal faire le job. Et c’est pour ça qu’on se lève tous les matins : pour donner l’envie à de plus en plus de gens d’en faire leur métier, à part entière.
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