L’étude qui montre qu’on cherche toujours à se recruter soi-même

Ce qui se cache vraiment derrière “le savoir-être” et “les soft skills”

J’ai toujours voulu ancrer mes contenus dans des bases scientifiques. En effet, l’expérience c’est bien mais on le sait : si on se fie à nos intuitions alors on se dit que la Terre est plate.

Jusqu’ici je le faisais en lisant des personnes qui avaient lu les articles scientifiques. Par exemple Lazlo Bock dans son livre Work Rules a toute une partie où il résume les recherches sur l’entretien structuré et pourquoi il a déployé ça sur Google.

Idem pour le livre l’entrevue structurée qui fait un grand résumé des études sur le sujet.

Puis, il y a bientôt 2 ans, Tania Ocana a rejoint l’équipe de formateurs que l’on constituait, Aurélien Boutaudou et moi. Or, comme toutes les personnes qui ont un doctorat, elle a cette culture d’aller directement lire la littérature scientifique. En la voyant faire j’ai eu envie de le faire à mon tour. Sauf que…

C’est super dur. Déjà il faut savoir que y’a un Google Spécial : Google Scholar.  Je l’ignorais. Chercher un article scientifique dans le Google normal c’est un enfer.

Je passais des heures à trouver un endroit où l’article était disponible gratuitement. Alors que dans Google Scholar on a l’endroit où il est gratuit à peu près une fois sur deux. Mais même ça c’est un concept à maîtriser : beaucoup d’articles scientifiques sont en réalité accessibles légalement et gratuitement même quand des sites les vendent.

J’ai donc commencé petit à petit à découvrir comment on fait. Mais y’a encore une barrière : beaucoup d’articles scientifiques sont tout simplement très mal écrits.

Pendant un moment j’ai cru que c’était la barrière de la langue (car oui, la plupart sont en anglais). Jusqu’à comprendre que non. Un jour je suis tombé sur une étude bien écrite et là j’ai compris que ce n’était pas une question de langue mais bien de clarté. Car, la clarté n’est pas le critère d’évaluation d’un article scientifique. Par conséquent elles sont souvent obscures.

Et c’est là qu’est arrivé la dernière révolution qui m’a aidé à accomplir mon objectif : Claude.

Claude n’est pas un nouveau formateur qu’on aurait recruté mais bien une IA. La différence avec ChatGPT ? Claude a une mémoire bien plus grande et lit les PDF. Claude peut retenir jusqu’à 75 000 mots (sachant que le premier tome d’Harry Potter fait 77 000 mots).

Et donc j’ai commencé à balancer des articles scientifiques dans Claude en lui disant :

Résume moi cet article scientifique. Traduis le titre et rajoute un sous titre explicatif. Mets moi les rubriques suivantes : le contexte, un résumé global, un résumé détaillé, les points à retenir et les choses les plus étonnantes (contre intuitives). Si possible met également une rubrique « limites »

Utilise le markdown pour mettre en forme, mets du gras de l'aération. Rajoute également des exemples pour illustrer chaque point si tu en trouves dans l’étude. Tu peux même rajouter une rubrique « exemples d’illustration ».

Prends ton temps pour résumer, privilégie un résultat long. Au moins 2000 mots.

Le résultat est loin d’être parfait mais il m’a permis de débroussailler les articles afin de savoir lequel je voulais lire.

Et c’est comme ça que, pour la première fois, j’ai lu en long en large et en travers un article. Alors que jusque là j’avais toujours lu en diagonale. Je me suis donc plongé dans :

Hiring as Cultural Matching: The Case of Elite Professional Service Firms - par Lauren Rivera (2012)

Qu’on pourrait traduire par :Le recrutement est un processus d’évaluation culturelle : étude de cas des entreprises de services hauts de gamme.

Et je vais te résumer ce que j’en retiens.Petite note avant de commencer : par facilité je vais dire indifféremment les recruteurs pour regrouper les recruteurs, les recruteuses et les managers qui recrutent. Car, l’autrice observe toutes les personnes impliquées dans le recrutement.

Pourquoi cette recherche est un accident ?

Cet article est un cas d’école de sérendipité. Tu sais c’est quand on trouve ce qu’on ne cherchait pas. Par exemple Christophe Colomb trouve l’Amérique alors qu’il cherchait l’Inde.

Et bien ici, Lauren Rivera cherchait à l’origine à faire une étude sur les inégalités de genre dans le recrutement. Comment le fait qu’on soit un homme ou une femme va influencer les chances de recrutement.

Mais en analysant les premières données, elle se rend vite compte que LA chose qui influence le plus les chances de recrutement dans les entreprises qu’elle analyse c’est la recherche d’un savoir-être.

Elle ne le dit pas comme ça.

Premièrement parce que le concept de savoir-être est une escroquerie (on l’a vu ici : https://blog.lecoledurecrutement.fr/le-savoir-etre-professionnel-existe-t-il/)

Deuxièmement parce que le concept n’a même pas de traduction en anglais. Personne en anglais n’utilise cette catégorie. Probablement parce que justement elle n’a aucun sens. En revanche, elle est remplacée par cultural fit. L’idée qu’on cherche une personne qui a les bons codes culturels.

Tu me diras que ce n’est pas pareil et qu’il est effectivement important de faire attention à recruter des personnes qui vont s’épanouir dans une culture.

Oui MAIS on va voir ensemble pourquoi les recruteurs disent cultural fit mais en réalité ils cherchent autre chose.Lauren Rivera choisit donc de démontrer que ce cultural fit se déploie en trois axes.

  1. Les entreprises elles-mêmes encouragent les recruteurs et managers qui recrutent à évaluer ce cultural fit, ces soft skills
  2. Le fait de partager des bases communes avec les candidat·es nous permet de mieux comprendre leur parcours
  3. Le concept de l’étincelle : l’excitation que l’on ressent quand ça fit avec quelqu’un et qui nous fait insister pour défendre l’embauche des candidat·es qui nous l’ont fait ressentir.

Elle se focalise sur trois types d’entreprises : des banques, des cabinets de conseil et des cabinets d’avocats.

Et, dès le début de ces recherches elle constate que cette histoire de cultural fit est totalement assumée. En cela elle démontre qu’il est faux de dire que les recruteurs ne s’intéressent que depuis récemment aux soft skills. Au contraire : ils ne font que ça, depuis toujours.Si bien que, dans une des entreprises, 40% des évaluateurs déclarent que c’est le critère le plus important alors qu’il existe un cas pratique !

On est donc dans un process où les candidat·es passent un cas pratique poussé sur leurs compétences et pourtant 40% des recruteurs disent que le plus important c’est le fit avant les résultats au cas.

Le recrutement n’est il QUE ça ? Une recherche des soft skills ?

Essayer de trouver des personnes qui vont s’épanouir dans une culture d’entreprise est plutôt une démarche validée par les scientifiques. 

La bonne manière de se servir de la culture dans l’évaluation

“Les universitaires spécialisés dans le management ont examiné les avantages de recrutement sur la base de l'adéquation entre les compétences des candidats et celles requises par les emplois (Cable et Judge 1997).

En outre, à la suite du virage culturel en matière de management, de nombreux employeurs utilisent la culture d'entreprise comme moyen de motiver les employés.  Une culture forte est souvent considérée comme un facteur d'amélioration de la productivité, de la rentabilité et de la compétitivité des entreprises (Barley et Kunda 1992).

Par conséquent, certains chercheurs préconisent de sélectionner les nouvelles recrues en fonction de l'adéquation entre la culture d'une entreprise - définie comme les valeurs partagées qui définissent le comportement approprié sur le lieu de travail - et les traits de personnalité stables des candidats (par exemple, l'extraversion par rapport à l'introversion) et les valeurs professionnelles (par exemple, une préférence pour le travail en autonomie par rapport au travail collaboratif).

De telles correspondances peuvent améliorer la satisfaction des employés, leur performance et leur rétention (Chatman 1991)”

En d’autres termes : on peut améliorer les performances et diminuer le turn-over en analysant la culture d’entreprises sous deux aspects.

1/ Existe-t-il des traits de personnalités qui contribuent à la réussite dans cette entreprise ? C’est important de bien comprendre tous les mots de cette phrase. Il ne s’agit pas de décréter qu’on veut des gens extravertis. Il faut voir quel trait a une influence directe sur la performance. Par exemple pour les salarié·es de l’Ecole du Recrutement on s’est rendus compte que l’extraversion ne changeait rien. On a des personnes extraverties et introverties. La “rigueur” (consciensciosité) non plus. En revanche, toutes les personnes qui ont une performance chez nous scorent plutôt haut sur l’ouverture aux nouvelles expériences.

2/ Existe-t-il un style de travail dans cette entreprise ? Des valeurs professionnelles ? Par exemple à l’Ecole du Recrutement on travaille énormément en autonomie, à distance donc il faut des personnes compatibles avec ça.

Si on procède ainsi, alors ça va. Sauf que… les universitaires sont perdu·es : il y a des zones d’ombre sur comment les entreprises recrutent. Les données nous indiquent que ce n’est pas comme ça que ça se passe. Alors… comment ?

Comment ça se fait que la plupart des recruteurs affirment rechercher ce cultural fit mais qu’on ne le retrouve pas dans les données ?

Mystère ?

C’est parce qu’il y a un quiproquo sur cette notion :

“Cependant, la notion de compatibilité culturelle utilisée par les recruteurs de cette étude diffère de cette conception, car ici elle se réfère généralement aux styles de vie des personnes - la façon dont les candidats préféraient se comporter en dehors du bureau - plutôt qu'à leur style de travail”

Les recruteurs ne cherchent donc pas à faire correspondre les candidat·es avec les traits de personnalité directement liés à la performance et les valeurs professionnelles. Ils cherchent à faire autre chose. Ils regardent plutôt les loisirs, la manière de se tenir…

Ils cherchent à avoir quelqu’un qui peut passer le test de l’aéroport.En France j’ai plutôt entendu parler du test du verre. Avec des gens qui disent que pour recruter il faut chercher une personne avec qui on aimerait prendre un verre. Alors que dans le monde anglo-saxon on a plutôt ce test de l’aéroport. Le voici décrit par un des recruteurs :

L'un de mes principaux critères est ce que j'appelle le "test de l'aéroport".

Voudrais-je être coincé dans un aéroport de Minneapolis dans une tempête de neigeavec cette personne ? Et si je suis en voyage d'affaires pendant deux jours et que je dois dîner avec cette personne, est-ce que cette dernière est le genre de personne avec qui j'aime passer du temps ? Bien entendu il faut aussi remplir un minimum des critères de base, avoir un minimum de compétences, un minimum d'intelligence, etc.

Mais en réalité, s'ils réussissent ce test, c'est ce qui est le plus important pour moi.

En d’autres termes, les recruteurs cherchent avant tout des similitudes personnelles. En cela, Lauren Rivera remarque que ça ressemble énormément à la manière dont on mène des dates, des rencards amoureux.

Ce n’est pas un hasard

Mais surtout, selon elle, ce n’est pas un accident. Les recruteurs le font consciemment. Car ils croient profondément que ce fit va permettre ensuite de fidéliser la personne et d’augmenter la cohésion.

Ce ne sont d’ailleurs pas des initiative individuelles, mais bien des démarches assumées des décideurs eux-mêmes.

Dans ces entreprises, le cultural fit est un critère d'évaluation formel et officiel intégré à la présélection et au processus de recrutement des candidats.

Omar, associé d'un cabinet d'avocats, explique : "Pour nos nouveaux collaborateurs, nous recherchons avant tout le cultural fit. Quelqu'un qui ... . s'intégrera".

Cette notion de cultural fit ou en tout cas de similitude perçue entre les loisirs, le parcours et la manière de se présenter des candidats avec celles des salariés existants de soi a été un facteur clé de l'évaluation dans toutes les entreprises observées. Les évaluateurs ont décrit le cultural fit comme l'un des trois critères les plus importants qu'ils utilisent pour évaluer les candidats lors des entretiens d'embauche ; plus de la moitié d'entre eux ont indiqué qu'il s'agissait du critère le plus important au stade de l'entretien d'embauche, classant le cultural fit avant l'esprit d'analyse et la communication.

En réalité… ce que les gens recherchent ce sont des potes. Certains le formalisent presque directement :

Une grande partie de ce job est une question d'attitude, pas d'aptitude .... donc le cultural fit est vraiment important. Vous savez, vous verrez davantage vos collègues de travail que votre femme, vos enfants, vos amis, et même votre famille. Tu peux donc être l'homme le plus le plus intelligent qui soit, mais je m'en fiche. J'ai besoin de me sentir à l'aise quand je travaille tous les jours avec toi, mais aussi si je suis coincé dans un aéroport avec toi, mais aussi si je dois aller boire une bière avec toi après. Il te faut donc une alchimie.Pas seulement que une personne intelligente, mais une que j'apprécie.

Trouver des personnes avec qui on s’entend

C’est donc une décision consciente et non un accident. Les recruteurs et les managers qui recrutent cherchent activement des personnes avec qui ils s’entendent le mieux plutôt que des personnes qui travaillent le mieux dans le contexte de l’entreprise.

Là encore, tous les mots sont importants. Parfois quand on dit aux gens qu’il faut recruter sur les compétences ils pensent qu’on parle uniquement des compétences techniques. Mais non, pour reprendre à nouveau l’exemple de l’Ecole du recrutement, nous recrutons sur le trait de personnalité ouverture aux nouvelles expérience ainsi que sur la valeur professionnelle travail en autonomie.

Mais ce ne sont pas des points pris au hasard parce que ça plaît à une personne. Ce sont les points qui permettent aux personnes d’avoir le plus de chances de travailler le mieux dans le contexte de l’organisation “L’école du recrutement”.

J’ai été le premier à faire l’erreur au tout début : je cherchais des personnes qui me ressemblaient. Donc des personnes ouvertes aux expériences mais également plutôt détendues (pas trop sensibles aux stress) et avec un mépris des règles.

Jusqu’à ce que je comprenne qu’il n’y avait qu’une seule partie de ma personnalité qu’on cherchait à cloner : l’ouverture à l’apprentissage et aux savoirs. Tout le reste de la personnalité est hors-sujet.

On utilise des raccourcis d’évaluation au lieu d’évaluer 

Je te le disais : les recruteurs disent qu’ils évaluent le cultural fit. Mais ils font autre chose. Ils ne cherchent pas l’adéquation au niveau des traits de personnalités stables pour la performance, les valeurs professionnelles et les candidat·es.

Pourquoi ? Parce que chaque personne interprète différemment le cultural fit. Rappelle-toi, le dirigeant du cabinet d’avocat qui dit :"Pour nos nouveaux collaborateurs, nous recherchons avant tout le cultural fit.”

Tout à l’heure j’ai traduit la suite par : "… Quelqu'un qui ... . s'intégrera". Sauf que dans le texte original c’est : “In our new associates, we are first and foremost looking for cultural compatibility. Someone who . . . will fit in.”

Le cultural fit est donc définit par quelqu’un qui fit…  forcément ça laisse libre cours à l’interprétation.

Les interprétations diverses

Donc ça prend plusieurs formes. Par exemple une analyse des loisirs :

Je regarde les centres d'intérêt qui figurent sur son CV - hockey sur gazon, squash, aviron [rires]. Je suis en train de définir son type de personnalité, et je ne pense pas qu'il s'adaptera bien ici. Nous sommes plus rudes et plus fougueux. Je préfère ne pas le recruter".

Ce qui est marrant c’est que les loisirs qui invalident un recrutement dans une entreprise seront vus au contraire comme des avantages dans d’autres :

Par exemple, Kelly, responsable des ressources humaines dans une banque d'investissement, vêtue d'un cardigan pastel boutonné et de perles, affirme : "Je devrais choisir Blake et Sarah. Lui fait du Hockey sur Gazon et elle du Squash, ils s'entendraient vraiment bien tous les deux dans la salle de trading"

Les recruteurs peuvent aussi se servir de la manière d’être et les centres d’intérêts :"Il s'est bien débrouillé sur le cas et s'est exprimé très clairement. C'est un mec très intéressant avec une bonne histoire. Mais je pense qu'il est trop intellectuel pour [NOM DE L'ENTREPRISE]. Tu sais, il est vraiment passionné par la littérature du 18e siècle et le cinéma d'avant-garde. Je ne pense pas qu'il serait un bon élément pour l'équipe." Le candidat n'a pas été rappelé.

Les recruteurs utilisent donc leurs propres définitions du cultural fit. L'expérience des évaluateurs influençait non seulement les critères qu'ils utilisaient pour évaluer les candidats, mais aussi comment ils définissaient et mesuraient le mérite dans un domaine donné.

Par exemple, toutes les entreprises demandaient aux évaluateurs de déterminer la motivation ou l'ambition des candidats, le plus souvent à travers des postes de leadership dans des organisations extrascolaires.

Cependant, en l'absence de normes claires pour évaluer cette qualité abstraite, les expériences personnelles des évaluateurs influençaient ce qu'ils considéraient comme une expérience de qualité en dehors de la salle de classe.

Est-ce en rapport avec le besoin de “soft skills” d’un poste ?

Mais le plus fou c’est que plus les métiers ont une dimension sociale et moins les recruteurs accordent de l’importance au cultural fit et aux soft skills.

Ça devrait être l’inverse ! Mais non :

Il est intéressant de noter que l'importance accordée au cultural fit n'augmente pas avec les contraintes liées au poste, qu'il s'agisse du contact avec le client ou avec une équipe. La recherche de cultural fit était la moins importante dans le secteur du conseil, où le travail est pourtant davantage axé sur les relations interpersonnelles. Elle était plus importante dans les cabinets d’avocats, où pourtant les compétences interpersonnelles sont peu utilisées au cours des premières années de travail.

L'utilisation du cultural fit n'est donc pas un pur reflet des exigences en matière de compétences sociales d'un poste. Conformément aux recherches suggérant que les formats d'entretien structurés peuvent réduire la subjectivité de l'évaluation, l'importance de l'adéquation a diminué avec l'inclusion de questions techniques dans les entretiens.

Dans le domaine du conseil, l'utilisation de questions professionnelles basées sur des cas concrets a fourni aux évaluateurs des bases d'évaluation des candidats autres que la similarité culturelle.

Le raccourci n’est donc absolument pas lié à un impératif de performance au travail. Contrairement à ce qu’on entend parfois. Ce n’est pas ce qui nous motive. Ce qu’on recherche c’est juste des personnes avec qui on va s’entendre. Car, par exemple, plus une entreprise avait des nécessités de travailler le soir et plus les recruteurs cherchaient le cultural fit.

Je dis que c’est un raccourci car, au lieu de chercher à évaluer directement les compétences sociales en contexte professionnels (ce qui serait légitime), ils évaluent les compétences sociales hors du travail. C’est ça qui est étonnant.

D’ailleurs, les personnes interrogées ont tendance à minimiser les compétences techniques directes. Mais je pense que c’est parce qu’elles ne savent pas les évaluer. Je dis je car ce n’est pas très détaillé dans l’article de Lauren Rivera. Mais elle donne quand même cette piste :

Conformément aux recherches universitaires suggérant que les formats d'entretien structurés peuvent réduire la subjectivité de l'évaluation, l'importance du cultural fit a diminué avec l'inclusion de questions techniques dans les entretiens.

Dans le domaine du conseil, l'utilisation de questions professionnelles basées sur des cas concrets a fourni aux évaluateurs des bases d'évaluation des candidats autres que le cultural fit.

Bon… on a compris…Les recruteurs disent qu’ils évaluent le cultural fit. Mais ils évaluent autre chose. Mais quel est cette autre chose ? Puisque chaque personne semble faire un truc différent ?

C’est là qu’arrive selon moi le moment le plus intéressant de l’article de Rivera.

Les recruteurs cherchent des personnes qui leur ressemblent

Les gens ne se l’avouent pas.Ou du moins c’est ce que je croyais.Selon l’autrice une majorité de personnes en sont totalement conscientes quand on creuse !Stephanie, directrice du recrutement dans le secteur bancaire résume : "En fait, on se recrute soi-même. Ce n'est pas un processus objectif".

Et on ne parle pas d’une manager qui recrute. On parle bien de la personne qui est directrice du recrutement de son entreprise. Ça a le mérite de la lucidité.

On le fait consciemment, ce n’est pas un biais inconscient

Mais pourquoi les gens assument à ce point que le cultural fit s’évalue en cherchant quelqu’un qui leur ressemble ?

Au début j’étais étonné. Puis en lisant les témoignages je me suis reconnu au début de ma carrière. Quand je recrutais pour l’Ecole du recrutement je cherchais quelqu’un comme moi en me disant exactement ça :

Les évaluateurs ont également évalué le cultural fit en utilisant leur propre personne comme calque. La logique qui sous-tend cette méthode d'évaluation du cultural fit est qu'un évaluateur représente l'entreprise et sa personnalité. Si un candidat correspond à l'évaluateur, alors il correspondra aux autres employés.

L'avocat Carlos nous a expliqué : " Tu te sers de toi-même pour mesurer l'adéquation parce que c'est la seule chose sur laquelle tu peux t'appuyer ".

Ce qui est marquant c’est que cette démarche n’est pas la même selon l’étape du process. À l’étape du tri de CV les recruteurs ont davantage tendance à chercher des indices dans le life style, les loisirs des candidats. Alors qu’à l’étape de l’entretien ils vont plutôt se servir d’eux-même comme calque pour évaluer. Donc ils cherchent quelqu’un qui leur ressemble.

Plus profond encore, ils vont définir la notion même de mérite comme quelqu’un qui a fait comme moi."Les évaluateurs ont utilisé leur vécu personnel comme grille avec laquelle ils ont évalué la valeur intellectuelle, sociale et morale des candidats. Cependant, contrairement à ce qu'on a pu observer dans des études sociologiques antérieures sur l'identité dans le cadre de l'évaluation, l'utilisation de la similitude avec le soi était généralement active et intentionnelle.

En l'absence de réponses concrètes aux questions de l'entretien et de prédicteurs fiables des performances futures, les évaluateurs ont délibérément utilisé leurs propres expériences comme modèles de mérite.

Ils pensaient que, parce qu'ils avaient réussi dans leur carrière, les candidats qui leur ressemblaient sur le plan de l'expérience auraient plus de chances de réussir dans leur travail.Essentiellement, ils ont défini le mérite de manière à valider leurs propres forces et expériences et par conséquent à percevoir les candidats similaires comme de meilleurs candidats."

En d’autres termes : ce n’est pas un biais inconscient. Les recruteurs se rendent bien compte que les réponses des entretiens non-structurés ne leur permettent pas de prédire une performance. Ils se rabattent donc consciemment sur ce substitut. 

Le parallèle avec les rencards amoureux, les dates

Puisque les méthodes d’entretien qu’on leur fournit (entretien non-structuré) sont inopérantes ils se rabattent sur ce qu’ils connaissent : un date, un rencard amoureux.

Certains le disent d’ailleurs exactement comme ça :

“La meilleure façon de le décrire est de le comparer à un rendez-vous galant. Tu sais en quelque sorte qu'il y a une compatibilité". Ou alors ils utilisaient le test de l’aéroport dont je t’ai parlé plus haut :

Outre les sentiments intangibles de " compatibilité ", environ 80% des évaluateurs ont utilisé une technique connue sous le nom de " test de l'aéroport ", que les RH ont souvent approuvée. Et du coup… on fait quoi dans un date ?

On cherche une alchimie et donc des points communs !

La recherche d'expériences communes a stimulé les sentiments de "compatibilité" et d’ "alchimie" que les évaluateurs ont décrits comme des éléments essentiels de l'adéquation lors des entretiens.

L'avocate Denise a expliqué : "Je pense vraiment qu'il s'agit de trouver... quelque chose en commun avec votre interlocuteur".

Les évaluateurs ont souvent évalué l'adéquation en bavardant pour briser la glace pendant les premières minutes de l'entretien. Ils ont expliqué qu'ils commençaient les entretiens en parcourant les CV à la recherche d'expériences communes pour briser la glace.

Comme l'a illustré l'avocat Jamie, ils recherchent généralement des similitudes extrascolaires ou extraprofessionnelles : "J'essaie généralement de commencer par quelque chose qui n'est pas lié à l'école de droit. Je jette un coup d'œil rapide à ses activités [extrascolaires] pour voir ce qu'il y a. J'essaie généralement de choisir quelque chose que je trouve intéressant... auquel je peux m'identifier ou dont je connais quelque chose".

Certains recruteurs, comme l'avocat Carlos, recherchent explicitement des points communs biographiques : Je commence généralement l'entretien en disant : "Parlez-moi de vous".

Lorsqu'on me pose cette question, je dis d'où je viens, où j'ai été élevé, puis mon parcours. Parler de son école de droit n'est selon moi pas une bonne façon de se commencer sa présentation. Je veux connaître ton vécu. Avec un peu de chance, il y a quelque chose de plus intéressant dans ta vie que la décision d'aller en école de droit... Quand on me parle de son parcours, il est plus facile de trouver des points communs... Peut-être que le candidat vient de Seattle et que je suis allé à Seattle. Nous pouvons en parler et nouer un lien.On voit donc que les recruteurs cherchent des points communs parce que ça permet aussi de briser la glace et de commencer la discussion. Sauf que ça ne s’arrête pas là…

Les critères d’évaluation varient selon la personne puisqu’elle cherche quelqu’un qui lui ressemble

Autre point qui m’a énormément marqué c’est à quel point ça devient n’importe quoi. Puisque chaque personne se sert de son vécu comme grille d’évaluation ça devient totalement contradictoire. Ça devient une loterie.

Des candidats qui auraient été recalés passent à l’étape d’après parce qu’ils partagaient un point commun avec l’évaluateur.

Mais, pire que ça…Les recruteurs qui ont eu de bonnes notes dans leurs études supérieures ont insisté sur l’importance d’avoir de bonnes notes. Alors, qu’à l’inverse, les recruteurs qui ont eu de mauvaises notes ont insisté sur le fait que ce n’est pas ça qui compte.

Les recruteurs qui ont fait des écoles qui ne sont pas dans le top 5 ont insisté sur le fait que les autres grandes écoles sont tout aussi bonnes :

L'avocate Nicole, qui était la major de sa promo dans une école de droit moins prestigieuse, a expliqué pourquoi, contrairement à la grande majorité des recruteurs de son cabinet qui viennent d'écoles du top 10, elle ne néglige pas les candidats qui obtiennent les meilleures notes dans des écoles qui ne font pas partie du top 10 :

"Les premiers de ma classe ont dû travailler d'arrache-pied depuis le premier jour; chacun de nos examens était sans documents autorisés, alors qu'à NYU, tous les examens sont avec autorisation d'utiliser des documents... le programme d'études est à peu près le même [qu'à NYU], les professeurs sont à peu près les mêmes... les examens sont à peu près les mêmes... Je pense vraiment que le premier de ma classe à la New York Law School peut rivaliser avec le premier de la classe de n'importe quelle autre école de droit".

Les recruteurs qui ont fait du sport de haut niveau ont survalorisé les candidats qui ont fait du sport de haut niveau

Par exemple, les anciens sportifs universitaires valorisaient généralement la participation aux sports universitaires plus que tout autre type d'implication.Le consultant et ancien sportif Jake a illustré ces tendances en choisissant entre des profils de candidats :

"J’en sais moins, je l'admets, sur le fait d'être rédacteur en chef ou président d'un club que sur les sportifs. Donc, je ne suis franchement pas sûr que ces titres soient aussi exceptionnels que les deux sportifs. D'après ce que je sais sur ce qu'il faut pour être un sportif de première division et ce qu'il faut pour être un sportif de première division vraiment exceptionnel, je me fais une idée du temps et de l'engagement que cela demande.

Donc, les qualités de leadership d’un rédacteur chef ou d’un président de club sont probablement excellentes, mais elles ne m'impressionnent pas autant que ces deux sportifs."

Il a classé les deux sportifs, Sarah et Blake, en première et deuxième positions respectivement, et a refusé de recevoir les non-sportifs qui avaient pourtant de meilleures notes, provenaient d'écoles plus prestigieuses et avaient une meilleure expérience de travail.

Et bien sûr, c’était l’inverse avec les recruteurs non-sportif. Ils avaient tendance à minimiser ce qu’on apprend dans le sport.

Toujours le même principe avec les matières de spécialisation choisies durant les études.

"Quand nous discutons des candidats, il y a presque toujours un gars orienté chiffres qui veut éliminer tout candidat ayant étudié autre chose que l'économie ou les mathématiques. Mais je viens d'une filière moins “chiffre” et je m'en suis très bien sortie. 

Je pense même qu'avoir un parcours dans une discipline moins figée peut aider les gens à mieux comprendre les clients et à être plus créatifs et flexibles. 

Donc, si je vois que tu as une spécialisation en histoire, cela peut effectivement être un plus."

On le voit : chaque personne utilise sa propre évaluation basée sur son propre vécu. Et pour parachever le tout, Lauren Rivera mais à jour le concept que j’ai préféré découvrir dans son article.

Le phénomène des étincelles

Pourquoi on cherche quelqu’un qui nous ressemble ? On l’a vu parce que ça valide notre vision du mérite et de la réussite. Mais pas que…Bien sûr que c’est plus facile de trouver des sujets de discussion avec des personnes qui partagent des intérêts commun.Laurent Rivera appelle ça l’étincelle.Le point commun va déclencher en nous une excitation positive.La banquière Arielle a évoqué sa meilleure candidate récente :

  • "Elle et moi avons toutes les deux couru le marathon de New York... nous en avons parlé et ça a tout de suite collé... nous avons commencé à parler de notre amour commun pour traquer les célébrités à New York... nous avons eu cette connexion instantanée... je l'ai adorée.”

Mais ça ne s’arrête pas là : l’étincelle va colorer tout le reste de notre évaluation. Si on ressent cette étincelle on va l’interpréter comme une faculté du candidat à pouvoir convaincre un client, un talent commercial.

Alors qu’on rappelle que l’étincelle vient simplement du point commun avec nous. Donc un hasard.

Les étincelles d’émotions peuvent influencer la perception d'autres critères d'évaluation. Les recruteurs ont décrit les sentiments d'excitation comme une composante essentielle de l'alchimie qui est une condition préalable au fit culturel.

Ils ont souvent perçu la capacité à entamer immédiatement une conversation passionnante et sans effort sur la base d'intérêts communs comme un indicateur des compétences commerciales. Le banquier Christopher explique :

" Tu t'entends bien avec le candidat. Et tu as l'impression que cette personne peut s'entendre avec n'importe qui".Les sentiments d'excitation sont susceptibles d'influencer l'évaluation des compétences techniques. Les psychologues ont montré que les personnes qui éprouvent des sentiments positifs tels que l'excitation surpondèrent les autres points forts du candidat et négligent ses faiblesses.

Inversement, les personnes qui éprouvent des sentiments négatifs tels que l'ennui ou la lassitude exagèrent les faiblesses de ces candidats et négligent leurs points forts. En outre, les gens utilisent leur feeling comme mesure de la qualité, en supposant que les personnes qui leur font se sentir bien sont douées (pour une analyse, voir Clore et Storbeck, 2006).

Au-delà de ces biais bien documentés dans la prise de décision, une poignée d'intervieweurs ont admis qu'ils abaissaient parfois consciemment le seuil technique pour les candidats avec lesquels ils avaient une grande affinité. Le banquier Max a déclaré :

"Tu sais, si j'ai un vrai coup de cœur pour un candidat, je ne lui donnerai pas les notes qui le feraient s'effondrer. Je veux pouvoir revenir en arrière et dire : "Tout s'est bien passé" pour les faire passer à l'étape suivante".

Le pouvoir structurant des étincelles affectives engendrées par les ressemblances au niveau culturel s'est surtout manifesté dans les délibérations qui ont suivi les entretiens. Les sentiments d'excitation poussent les individus à agir (Collins 2004). Lors de l'embauche, le niveau d'enthousiasme ressenti par les évaluateurs à l'égard des candidats a influencé leur volonté de les défendre lors des délibérations du groupe.

En raison du grand nombre de personnes interrogées, les candidats devaient avoir un champion - un évaluateur qui se battrait pour eux lors des délibérations - pour recevoir une offre pour un poste.

Au final, non seulement les candidats qui ont déclenché l’étincelle vont bénéficier d’un favoritisme lors des entretiens mais en plus ils ont bénéficier de toute la force de persuasion d’un ambassadeur qui va insister lors de la délibération finale pour qu’ils soient retenus.

On valorise les loisirs des hommes blancs aisés

L’article se finit sur une prise de recul : est-ce que cette pratique est discriminante ?

Elle commence en disant qu’il semblerait que ça ne procède pas d’une discrimination ethnique ou sexiste directe.Avec toutefois un bémol : puisqu’elle est elle-même une femme latino elle soupçonne que les gens se sont auto-censurés devant elle.

Mais du coup, les femmes ayant les bons loisirs voyaient bien leur chances augmenter. Idem pour les personnes noires avec les bons loisirs. Alors, est-ce que ça suffit à se dire que c’est ok ?

Non car les bons loisirs étaient toujours les loisirs de la classe sociale supérieure. Il y a donc bien un effet de discrimination mais avant tout sur la classe socioéconomique.

On rappelle que l’étude porte sur des banques, des cabinets d’avocat et des boîtes de conseil donc des environnements avec des personnes venant de milieux aisés.

Bien que les signaux culturels particuliers valorisés dans les entreprises d'élite n'aient pas été valorisés dans les entreprises d'élite ne soient pas artistiques, ils ont des dimensions socio-économiques importantes.

La mise à profit du temps du temps libre est une caractéristiques de la classe moyenne supérieure et, plus généralement, des élites (Lamont 1992 ; Veblen 1899). En outre, les évaluateurs ont eu tendance à favoriser les activités extrascolaires associées à la classe moyenne supérieure blanche. Or ces activités ne sont possibles qu’au prix d'un investissement de ressources matérielles et temporelles non seulement par les candidats à l'emploi mais aussi par leurs parents.

Il y a donc bien une discrimination socioéconomique qui s’exerce par cette démarche de cultural fit.

Pire encore, puisqu’un candidat ne peut pas choisir avec quel recruteur il va passer, il a tout intérêt à avoir la plus grande gamme possible de loisirs. Pour en trouver un qui parlera au recruteur. Or, qui a tendance à avoir un grand panel de loisirs ? Les enfants des classes aisées.

Déjà parce que c’est un critère de sélection dans les universités américaines mais aussi tout simplement parce que les parents ont davantage le temps de les y aiguiller et pousser.

On l’a dit : les candidats doivent avoir la plus grande gamme de loisirs. Mais pas seulement. S’il est vrai qu’une personne Noire ayant fait le bon loisir sera favorisée comme les autres… ce qui va être un bon loisir va être déterminé par la population majoritaire.

En effet, la probabilité que le recruteur soit un homme blanc est la probabilité la plus grande dans ces entreprises, donc il faut pouvoir avoir un point commun qui va résonner avec leurs loisir à eux.

Tu me suis ?

Au final ça veut dire que la personne Noire devra avoir fait des loisirs associés à la classe supérieure américaine blanche pour maximiser ses chances.

Idem pour les femmes, celles qui sont sorties du lot sont celles qui avaient des loisirs vus comme masculins.

Il y a donc bien une dimension discriminante mais elle a lieu avant même l’entretien.

Le dernier problème

On l’a vu : on cherche à trouver des personnes avec qui on s’entend bien plutôt que des personnes qui seraient à l’aise dans notre contexte de travail. Ce n’est pas qu’une nuance.

Sélectionner les nouveaux employés sur la base d'une implication importante dans certains loisirs pourrait se retourner contre nous à long terme en entraînant une inadéquation avec les exigences réelles du poste. En outre, le fait de laisser aux évaluateurs la possibilité de définir le mérite à leur propre image et de sélectionner des candidats qui les enthousiasment personnellement pourrait créer des conflits entre les objectifs de l'organisation et les objectifs individuels. Étant donné que les évaluateurs sont susceptibles de travailler en étroite collaboration avec les nouveaux employés, ils pourraient être incités à embaucher les candidats les plus agréables plutôt que les plus compétents ; en d'autres termes, ils pourraient embaucher pour eux-mêmes plutôt que pour l'organisation.

Mais tu connais déjà mon avis là-dessus… c’est pour ça que je passe autant de temps à te dire qu’il faut apprendre l’entretien structuré comportemental.

Mais ce n’est pas le sujet de ce résumé…

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Source :

http://www.asanet.org/wp-content/uploads/savvy/journals/ASR/Dec12ASRFeature.pdf

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