Être méchant en entretien ne sert à rien

[Cet article est le second d’une série d’articles sur l’entretien de recrutement. Si vous avez raté le premier c’est par ici : 90% des entretiens ne servent à rien]

Je me suis toujours demandé pourquoi certaines personnes faisaient des entretiens déstabilisants voire carrément méchants. Surtout que, maintenant que tout le monde connaît la pratique, l’intérêt est encore plus limité. Quand je tombe sur un recruteur qui joue le rôle de policier, le seul truc que ça m’inspire c’est qu’il s’est trompé de voie. Ou bien qu’il est coincé dans une vision archaïque de l’entretien.

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Quelle est l’intention ?

Personne ne veut se l’avouer mais c’est souvent une question de plaisir personnel. Au fond, c’est marrant de se prendre pour un inspecteur de police. On n’a quand même pas souvent l’occasion dans sa vie de faire passer un interrogatoire de police. Du coup certains s’en donnent à coeur joie.

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Ensuite, il y a également une question de mimétisme. Comme on a vu des gens le faire, on se dit que ça doit être une pratique valable. Comme les candidats qui recopient à la pelle qu’ils sont « dynamiques et motivés ». On refait sans remettre en question, comme quand on recopie les annonces que l’on publie. C’est même parfois une manière de cacher grossièrement son impréparation.

Enfin, il y a l’idée clé de la démarche : on cherche à déstabiliser pour obtenir des informations. Puisqu’on sait que les candidats ne disent pas forcément la vérité en entretien, on va essayer de l’obtenir. Or, qui dans l’imaginaire collectif est doué pour récupérer la vérité ? Les inspecteurs de police. Alors on fait comme les inspecteurs de police qu’on a vu à la télévision.

Les problèmes que cela engendre

Le souci de se comporter comme un inspecteur de police c’est que la plupart des recruteurs ne sont évidemment pas formés aux techniques de l’interrogatoire. Et même si c’était le cas…cela révèle d’une incompréhension profonde de l’entretien. Le but d’un entretien de recrutement n’est pas de faire cracher la vérité à quelqu’un. D’ailleurs, les recruteurs non plus ne disent pas forcément la vérité en entretien. Pour autant a-t-on jamais vu un candidat essayer de déstabiliser le recruteur ? Si un candidat se mettait à se comporter comme un inspecteur de police probablement qu’il serait congédié dans la minute. Est-ce vraiment la meilleure des manières d’entamer une relation ?

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L’entretien est souvent le premier contact approfondi que l’on a avec un futur collaborateur. Il véhicule donc l’image de marque employeur. Que véhicule-t-on au juste quand on passe tout un entretien à être désagréable ? D’autant plus qu’il ne faut jamais oublier que l’entretien est structurellement un exercice inégalitaire. Le candidat n’est déjà pas en position de force, en abuser soulèvera son sentiment d’injustice. Comme un vigile qui profite de sa position pour être désagréable. Au mieux vous suscitez la colère, au pire vous suscitez le mépris des candidats qui trouvent la pratique ridicule et archaïque.

L’autre immense inconvénient c’est que cela déclenche les mécanismes de défense du candidat.

Mécanisme de défense n°1 : la complaisance

Une fois que vous avez déstabilisé un candidat, il peut inconsciemment se mettre à être subitement d’accord avec tout ce que vous dites. Et voilà qu’on a obtenu l’exact inverse de ce que l’on cherchait à l’origine.

Mécanisme de défense n°2 : la défiance

Inversement, certains candidats réagiront par la défiance. C’est ce qu’on appelle « rentrer dans sa carapace » dans le langage courant.

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Encore une fois, vous avez obtenu l’exact inverse de ce que vous cherchiez. Le candidat est désormais extrêmement prudent dans ses réponses et se braque en permanence. C’est un mécanisme extrêmement dangereux car il est généralement invisible si vous ne connaissez pas le comportement de référence du candidat et qu’il est très difficilement réversible. Même si vous arrêtez les jeux de déstabilisation, la colère ne retombera pas d’un coup. La confiance est rompue.

Mécanisme de défense n°3 : la perte de moyens

C’est un mécanisme qui peut renvoyer par exemple à la sensation de se retrouver sur les bancs de l’école, quand on était apeuré de se faire interroger par le professeur. Ou au réflexe de l’enfant se faisant gronder par un parent. D’un coup, le candidat perd tous ses moyens et vous ne pouvez plus rien en tirer. Là encore vous n’avez pas obtenu ce que vous cherchiez. Sauf si vous cherchiez à prouver que le candidat ne serait pas un complice idéal pour un crime, car il ne tiendrait pas face à un interrogatoire poussé. Là en effet c’est réussi.

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J’ai l’impression que pour beaucoup de recruteurs qui pratiquent la déstabilisation permanente c’est l’ultime victoire. Ils ont alors le sentiment d’avoir prouvé que le candidat ne pouvait pas gérer le stress. Mais c’est complètement faux : la seule chose que l’on a prouvé c’est que le candidat ne pouvait pas gérer le stress d’un interrogatoire. Mais les situations ne sont pas transposables les unes avec les autres. C’est comme quand les gens en école qui pratiquent le bizutage vous expliquent que c’est très important car ça permet au nouvel élève de se préparer au stress de la vie professionnelle (ne rigolez pas, on m’a vraiment déjà dit ça…et plusieurs fois). Cela relève d’une incompréhension profonde du fonctionnement du stress. Un individu peu être très résistant au stress d’une situation et pas du tout à celui d’une autre. Sans compter que l’on peut s’entraîner pour une situation donnée. C’est comme ça que vous vous retrouvez avec des candidats professionnels de l’entretien mais mauvais en poste.

Mécanisme de défense n°4 : la surenchère

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C’est rare mais quand ça arrive l’entretien est complètement gâché. À force de titiller le candidat vous le faites sortir de ses gonds. Comme il n’est pas en position de force il ne vous le dit pas frontalement mais se met à en rajouter avec vous. Il ne vous écoute plus vraiment, il rentre juste dans votre jeu. L’échec est total.

Que retenir de ces mécanismes de défense ? Au final, on a l’illusion de parvenir à ses fins en déstabilisant mais on obtient des effets inverses.

Quelques bonnes raisons de ne pas déstabiliser un candidat

Tout ceci est d’autant plus vain qu’on oublie la puissance du confort dans la quête de vérité. Ce n’est pas pour rien qu’une des stratégies les plus connues des interrogatoires c’est le méchant flic qui stresse, suivi du gentil flic qui soulage et écoute (on oublie souvent cette partie).

Déjà, il ne faut pas oublier que dans un interrogatoire de police, le but n’est en aucun cas de créer une relation. L’entretien de recrutement est donc soumis à une contrainte supplémentaire. Ce qui ne laisse pas beaucoup de choix en vérité : il va falloir être agréable. Car être désagréable avec quelqu’un qui pourra être votre collègue demain est la pire manière de commencer la relation. Et, détrompez-vous, même si les candidats ne vous le disent pas en face, beaucoup qui me confient qu’ils n’oublieront jamais totalement le goût amer de cet entretien.

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L’autre chose à avoir en tête c’est qu’on peut très bien faire parler quelqu’en en le mettant à l’aise. C’est d’ailleurs une stratégie redoutablement efficace. Car, on pense aux policiers en interrogatoires des films mais si on pense aux espions dans les films, ils utilisent plutôt cette stratégie-là (avec souvent l’aide active de l’alcool). Mettre un candidat le plus à l’aise possible est donc une stratégie redoutable pour qu’il se confie à vous. Plus il se sentira à l’aise, plus les mécanismes de défenses diminueront et plus il se laissera aller.

C’est pourquoi certains recruteurs vont même jusqu’à faire les entretiens dans des terrains neutres (comme des cafés ou des restaurants) pour être sûrs d’être dans un environnement qui stimule le confort.

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Une autre stratégie utilisée par ces recruteurs c’est de faire une fausse fin d’entretien. Ils font mine de fermer les cahiers et d’arrêter l’entretien. Mais en fait ils se gardent encore une dizaine de minutes pour échanger. Et c’est à ce moment qu’ils recueillent les informations les plus cruciales.

Conclusion

Parce que l’entretien de recrutement est aussi le prolongement de votre marque employeur vous n’avez pas vraiment le choix : il faut être agréable. La bonne nouvelle c’est qu’être agréable est également une stratégie redoutable pour obtenir de l’information. Un grand merci à Jean-Baptiste Audrerie pour m’avoir formé sur le sujet ! Grâce à lui, je suis en train de vous préparer un module entier sur LEDR Pro où le sujet de l’entretien sera abordé en long et en large !

En attendant n’hésitez pas à allez voir le premier article sur le sujet de l’entretien et à donner votre avis en commentaires si vous pensez que quelque chose m’a échappé et qu’il y a un vrai intérêt à faire des entretiens désagréables. Je suis vraiment curieux sur le sujet !

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