Le savoir-être est une notion discriminante.
On le sait : il y a beaucoup de discrimination dans le recrutement. Une fois qu'on a dit ça... que faire ?
Une piste que je vais explorer ici c'est les pièges dans lesquels on tombe. La discrimination subtile et indirecte. Celle qui nous permet de nous mentir à nous-même et de ne même pas se rendre compte qu'on discrimine activement.
La question du savoir-être
Le concept de savoir-être peut sembler anodin. Jusqu'à ce qu'on se demande : qui sont les gens qui manquent de savoir-être ? Qui se lèvent quand on demande : qui manque de savoir-être ? Personne. Parce que c'est une insulte et non une compétence.
Si c'était une compétence on aurait des gens qui admettraient ne pas l'avoir.
Parfois on me dit : c'est pour vérifier le manque d'éducation. Mais pareil ? Ça veut dire quoi quelqu'un qui manque d'éducation ? Concrètement ?Je passe vite sur cette question car je l'ai déjà énormément détaillée dans cet article : https://blog.lecoledurecrutement.fr/le-savoir-etre-professionnel-existe-t-il/
Mais ce qui me fait écrire de nouveau sur la question c'est la découverte des éléments d'un procès pour discrimination à l'embauche. En effet, en ce moment, une grande entreprise du recrutement passe devant les tribunaux. 22 ans après les faits.
Quand je te parle de discrimination à l'embauche je ne te parle pas de chose subtile comme je mentionnais plus haut, je te parle de quelque chose de beaucoup plus violent.
Je te parle d'un fichage racial dans le but d'écarter les personnes non-blanches. On mettait le code PR4 pour les personnes noires et le code PR3 "pour les Maghrébins, le classement dépend de la gradation de leur carnation et de l’humeur de l’agent derrière le comptoir. « Les arabes, on les mettait parfois dans la catégorie PR4, mais pas systématiquement. On les y mettait quand ils avaient un teint foncé », corrobore l’hôtesse d’accueil Sabrina O. « Je classais les nord-africains en PR3 sauf lorsqu’ils étaient noirs », confie une autre employée aux enquêteurs."(…)"Lorsqu’un client demande un intérimaire, il peut tout naturellement demander un BBR [pour “bleu blanc rouge”, NDLR] ou un non-PR4. » Résultat : les intérimaires noirs sont servis en dernier et souvent cantonnés à la plonge, loin des regards des clients."
Mais ce qui m'a interpellé, c'est que la défense d’un des dirigeants impliqués c'est : « Manifestement, un amalgame au fil du temps s’est fait, sur les savoir-faire et savoir-être des candidats »
Voilà. Encore le savoir-être comme porte ouverte à la dérive discriminatoire.
Il faut qu'on en ait conscience. Je ne dis pas que toute personne parlant de savoir-être pratique de la discrimination. Je dis que cette notion floue contient ce chemin.
Quand on prend du recul, d'ailleurs, on comprend d'où vient ce chemin : la tentation de l'universel.
Quand on parle de "savoir-être" on sous-entend qu'il existerait des manières d'être, des savoir-vivre universels. Or, c'est forcément une pente glissante. Le recrutement n'est pas là pour hiérarchiser les individus de manière absolue, il est là pour dire quels individus correspondront le mieux à tel poste dans tel entreprise. Une hiérarchie relative et contextuelle.C'est néanmoins difficile, et je comprends la tentation d'avoir un outil magique qui permettrait dans toutes les situations de pouvoir hiérarchiser. Mais cet outil magique n'existe pas. Et, malheureusement, un des seuls outils qui permet de hiérarchiser des humains de manière absolue c'est la discrimination.
Les concepts pour remplacer le savoir-être
Je le redis : je comprends le besoin de classer quand on recrute. Mais surtout je comprends qu'on essaie de partir de la classification du langage populaire : savoir-faire contre savoir-être.Mais cette classification n'est pas valide scientifiquement.
Car, il existe une science des critères de recrutement. La voix dans ma tête l'appelle "la critérologie" (mais le mot existe pas).
En revanche la discipline existe bel et bien et nous fournit la cartographie des critères. Elle l'appelle : les KSAO.
On l'a déjà vue plusieurs fois mais en résumé :
K pour Knowledge : ce sont les connaissances
S pour Skills : ce sont les savoir-faire qui s'apprennent
A pour Aptitude : ce sont les prédispositions, les talents, les choses qui ne s'apprennent pas
O pour Other : principalement la personnalité, les valeurs et la volonté à effectuer les tâches
Par exemple pour être champion du monde de Judo, Teddy Riner a besoin de :
K : Connaître les règles du judo, l'historique des techniques qui fonctionnent bien dans l'ère moderne, etc
S : Maîtriser les techniques de projection : Harai Goshi, O-soto-Gari, etc. Il les a appris à l'entraînement.
A : Avoir un gabarit supérieur à la moyenne des judokas de sa catégorie : 2,04 mètres pour 150 kg. Sa taille ne peut pas s'entraîner, c'est une caractéristique innée.
O : Avoir une éthique de l'entraînement, une persévérance
Tu remarques que le K et le S représentent des critères qui s'entraînent, qui s'apprennent. Alors que le A et le O plutôt des critères qui sont là ou pas.
Pour aller plus en détails là-dessus tu peux regarder cet article de Tania : https://blog.lecoledurecrutement.fr/recruter-sans-cv/
Si on revient à la notion de savoir-être contre savoir-faire... il y a confusion.
Soit le savoir-être désigne des éléments de personnalité comme par exemple l'extraversion. Et dans ce cas ça n'est pas une question d'éducation ou de "professionnalisme" mais bien un trait de caractère.
Soit le savoir-être désigne des éléments qui s'apprennent. Et dans ce cas le savoir-être est un savoir-faire.
Voilà pourquoi c'est une notion source de confusion. Elle prétend s'opposer au savoir-faire alors qu'en réalité ce qu'on appelle savoir-être c'est souvent un savoir-faire relationnel.
Ce sont des compétences relationnelles qui s'apprennent (et donc des savoir-faire) comme :
- La négociation
- La persuasion
- Le sens du service
- La pédagogie
- La coopération
Rien de tout ça n'est inné. Ce sont des compétences comme les autres. Il n'y a pas lieu d'en faire une catégorie qui serait à part et qui se nommerait le savoir-être.
Mais surtout... tous les métiers n'ont pas besoin de ces savoir-faire relationnels. Par exemple en tant que formateur, j'ai besoin évidemment de pédagogie mais j'aurais moins besoin de coopération ou négociation.
Le diable est dans le "fit culturel"
Parlons maintenant d'un deuxième chemin de discrimination subtile : la notion de fit culturel.
Je suis le premier à dire que l'adéquation culturelle est importante. J'en ai même fait une conférence :
Mais, attention, il s'agit d'analyser la culture de l'entreprise comme un ensemble de comportements en poste récompensés ou sanctionnés. Par exemple, chez nous, une personne qui dit ce qu'elle pense aura tendance à mieux se débrouiller qu'une personne qui est davantage dans la diplomatie. C'est la culture qui est comme ça.
Cette culture se matérialise concrètement par des manières d'organiser les réunions et les temps en commun.Par conséquent, la culture d'entreprise s'apprend. C'est une compétence comme les autres. On va donc chercher à recruter des personnes qui ont le potentiel de l'apprendre et non des personnes qui sont déjà prêtes.
Mais attention, le diable est dans les détails. Plusieurs études nous montrent que les recruteurs et recruteuses ont tendance à davantage se concentrer sur l'évaluation de l'adéquation culturelle (au détriment des compétences directes) quand ils évaluent des candidats appartenants à des groupes discriminés.
Ou pour citer exactement :"Evidence indicates that practitioners focus more on [cultural] fit assessments when evaluating outgroup applicants (Wolgast et al., 2018)"
J’ai laissé en anglais car le concept d’outgroup est quasiment intraduisible. Il désigne ici les personnes classiquement discriminées.
En d'autres termes, l'évaluation du "match culturel" est ce qu'on appelle un proxy de discrimination. C'est-à-dire un moyen indirect de discriminer.Bonne nouvelle : les études nous montrent également que cet effet est sensiblement réduit quand on utilise les entretiens structurés. Donc ce n’est pas une fatalité; on y reviendra.
Dans la même idée on a un phénomène de discrimination indirecte qui transite via la question des loisirs et hobbys.
D'abord, rappelons que les hobbys ne sont pas une manière efficace d'évaluer une performance en poste. En effet, ce n'est pas parce que quelqu'un pratique un sport collectif que cette personne a l'esprit d'équipe en entreprise.
D'ailleurs ce n'est pas parce que quelqu'un pratique un sport collectif qu'il le pratique correctement. Je connais pleins de personnes qui font du foot et “jouent perso”.
Si on veut évaluer l'esprit d'équipe alors il faut :
1) que ça soit directement lié au poste
2) qu'on l'évaluer directement à travers des comportements professionnels (passés ou mis en situation)
Ensuite, voici le problème de se servir des loisirs : nous avons tendance à chercher des personnes qui ont les mêmes loisirs que nous. On a beau dire que les loisirs nous permettent de connaître davantage une personne, de nouer une connexion humaine… ce qu'on recherche inconsciemment ce sont des personnes qui ont les mêmes loisirs que nous.
Dans son étude (2012), Lauren Rivera nous apprend que les expériences partagées déclenchent, pendant un entretien non-structuré, des étincelles.
On l'a tous vécu. Une étincelle c'est quand d'un coup l'entretien bascule parce qu'on se trouve un point commun avec le candidat.
Malheureusement l'étude nous apprend également que ces étincelles vont contaminer tout le reste de l'évaluation : c'est-à-dire que l'alchimie nous fait survaloriser toutes les autres compétences du candidat.
Pire encore, on se dit que si la personne s'entend bien avec nous alors elle s'entendra avec toutes les autres de l'entreprise. Ce faisant on confond l'adéquation avec la culture d'entreprise et l'adéquation avec sa culture individuelle propre.
À l'inverse, quand une personne nous ennuie, on a tendance à exagérer ses faiblesses et minimiser ses forces.
La bonne nouvelle c'est que, selon Rivera, ce n'est pas un proxy de discrimination raciale ou sexuelle. Si une femme a le bon hobby alors elle est avantagée, comme un homme. Si une personne noire a le bon hobby alors elle sera également avantagée.
Mais la mauvaise nouvelle c'est que c'est bien un proxy de discrimination sociale. L'auteure nous montre quelque chose d'assez intuitif : les hobbys qui sont recherchés sont toujours les hobbys des classes aisées.
J'ai entendu plusieurs entreprises dire qu'elles valorisaient les personnes qui font des sports comme le Rugby. Je n'ai jamais entendu un recruteur me dire dire que son entreprise valorise les personnes qui font du rap ou de la couture.
Ou, pour citer exactement :"Le fait de pratiquer des loisirs est une caractéristique des cultures de la classe moyenne supérieure et des élites en général (Lamont 1992 ; Veblen 1899). En outre, les recruteurs ont eu tendance à favoriser les loisirs associés à la classe moyenne supérieure blanche et qui ont été acquises grâce à un investissement intense et prolongé de ressources matérielles et temporelles, non seulement par les candidats à l'emploi, mais aussi par leurs parents (Rivera 2011 ; Shulman et Bowen)"
Tout est dit.
Le concept pour remplacer le "fit culturel"
Comme je le disais, l'idée que la culture d'entreprise joue un rôle prépondérant dans la réussite en poste n'est pas remise en question ici.En revanche, il faut distinguer de manière intransigeante la culture professionnelle du reste. Qu'est-ce que le reste ?
Premièrement la culture de chaque individu, on l'a vu. On doit s'éduquer à ne pas considérer que parce qu'une personne nous a plu alors elle a des compétences relationnelles. Peut-être qu'elle nous plaît uniquement parce qu'elle nous ressemble ou qu'elle a des loisirs associés à l'élite.
Deuxièmement la culture de l'entreprise non-liée à la réussite. J'entends par là que beaucoup de recruteurs confondent les concepts. Quand ils parlent de culture d'entreprise ce n'est pas au sens des comportements professionnels encouragés ou découragés. C'est au sens de nous on est une entreprise où on adore les afterworks ou nous on est une entreprise de winners, de sportifs.
Il y a l'idée qu'on cherche des gens qui ont des affinités naturelles. Mais on oublie que les affinités se développent et qu'elles ne sont pas toujours nécessaires à la performance.
Pour évaluer correctement la culture, il faut d'abord avoir pris le temps de la définir.
Malheureusement, dans 95% des entreprises, la culture n'a pas été posée correctement sur papier.
Si la méthode pour poser sa culture t'intéresse tu peux regarder la conférence que j’ai mise plus haut, mais aussi cet article : https://blog.lecoledurecrutement.fr/erreur-entreprise-culture/
Mais, en résumé, il faut réussir à décrire sa culture opérante et non pas sa culture déclarée. Différencier ce qu'on aimerait être et ce qu'on est effectivement. Sortir des valeurs creuses comme l'innovation ou l'intégrité qui ne veulent rien dire.
C'est le grand danger : on revient à la tentation de l'universel. Comme les entreprises essaient de se valoriser, elle cherche une manière d'être universellement perçues comme meilleures.
Mais du coup ça donne des propos creux et contradictoires. Des entreprises qui me disent notre valeur principale c'est l'innovation MAIS dans le respect ou notre valeur c'est la liberté MAIS dans le contrôle.
Ou alors des valeurs qui ne différencient personne. Par exemple on est une équipe jeune et dynamique. On comprend bien que personne ne dirait on est une équipe vieille et mollassonne.
Par exemple nous sommes dans la bienveillance. Qui va dire nous sommes dans la malveillance ?
Alors que si je prends une des valeurs que j'ai déduites en faisant cette analyse sur notre entreprise il y a plusieurs années, ça donne quelque chose comme :
DIS LES CHOSES
Exprime-toi… avec ou sans bienveillance, avec ou sans tact, avec ou sans émotion. L’important c’est de se dire les choses, sans barrière. Tu as peur ? Tu es en colère ? Dis-le. En individuel, ou à plusieurs. Mais dis-le. On ne t’en voudra jamais de dire. Par contre on t’en voudra de ne pas dire. Rien n’est évident, rien ne va de soi… les autres ne sont pas des autres toi.
Attention, si tu dois dire les choses ça veut dire qu’il faut également pouvoir entendre les choses que disent les autres. Attention, si tu dois dire les choses ça veut dire qu’il faut accepter la vulnérabilité qui va avec. Attention, si tu dois dire les choses ça veut dire qu’il faut les assumer.Enfin, viendra le moment où tu douteras. Tu te diras « j’aurais mieux fait de ne rien dire ». Tu auras tort : il vaut mieux dire que ne pas dire, dans tous les cas. Tu ne vas pas le croire en le lisant mais je t’avertis : la plupart des gens croient qu’ils ont trop communiqué alors qu’ils n’ont pas assez communiqué.
C'est une vraie valeur car, non seulement on peut en retrouver l'incarnation dans le quotidien des personnes qui travaillent chez nous mais surtout elle n'est pas universelle. Une entreprise dont le métier est de développer des vaccins pourrait dire l’inverse (c'est GPT qui parle):
CHOISIS TES MOTS
Dans notre métier, chaque mot compte. C’est pourquoi nous prônons une communication intentionnelle qui respecte l’importance de nos travaux et l’impact qu’ils peuvent avoir sur la société. Avant de parler, pose-toi ces questions : est-ce vrai ? est-ce nécessaire ? est-ce bienveillant ?
Parler, c'est bien, mais le faire sans blesser autrui, c'est mieux. L'idée n'est pas de taire ce que tu ressens, mais de prendre le temps de peser tes mots et leur impact. Le bon moment, le bon canal, et les bonnes personnes comptent autant que le message lui-même.
Il faut toujours être conscient du poids de tes mots. Dans notre domaine, une phrase maladroite peut coûter des vies ou détruire des années de recherche. Cela inclut aussi de comprendre que chaque déclaration a un contexte, un public et un moment approprié.
On voit que cette version “inversée” n’est pas moins désirable. Ça ne donne pas quelque chose de ridicule. C’est même plutôt légitime et logique qu’une entreprise opérant dans ce secteur ait plutôt cette approche.C’est donc un vrai élément culturel différenciant. Mais surtout... c’est un élément en lien direct avec l’exercice des métiers au sein de l’organisation. Ce n’est pas on aime jouer au baby-foot.
Les intrusions dans la vie privée
Troisième canal de discrimination indirect, les intrusions dans la vie privée peuvent être commises avec une bonne intention.
On a des impératifs d'intensité de travail sur un poste alors on demande à la personne si elle a des enfants.Mais... tu vois probablement où je veux en venir : on pose davantage cette question aux femmes. Bien davantage. Puis on se sert de leur réponse comme un élément de disqualification.
On a des impératifs de localisation sur un poste alors on demande à la personne si elle habite loin.
Mais... nous n'avons pas le droit de refuser un poste à quelqu'un parce qu'il habite trop loin. Même pour son bien. Au début de ma carrière de recruteur, je ne le savais pas : j'exerçais souvent cette discrimination.
D'ailleurs, même aujourd'hui c'est encore mon réflexe. La dernière fois que j'ai été impliqué dans un recrutement c'était pour recruter ma collègue directe, formatrice. Je me suis immédiatement dit mais elle habite à Lyon... c'est pas réaliste de faire autant de déplacements sur Paris pour venir former nos clients.
Je me suis repris parce que j'ai conscience de cette tendance en moi (et c'est aussi l'avantage d'avoir plusieurs personnes impliquées dans l'évaluation et jamais une seule). Dans cet exemple, ça "va" encore car on ne touche pas à la discrimination la plus sensible.
Mais parfois c'est un vrai proxy de discrimination sociale ou raciale. En effet, certaines exigences sur le lieu vont automatiquement favoriser certaines personnes et en défavoriser d'autres. Si mon lieu de travail est au centre-ville par exemple... quels sont les types de personnes qui seront davantage susceptibles d'habiter loin... en banlieue ?
Dernier exemple, demander à une personne si elle est mariée, sous prétexte de convivialité risque de nous amener sur une pente très glissante. Elle peut servir de moyen d'évaluer si une femme va bientôt avoir un enfant, là encore pour la disqualifier. Mais elle peut également servir à projeter qu'un homme marié serait plus stable. Ou qu'une personne qui a divorcé plusieurs fois serait instable.
Par quoi remplacer les intrusions dans la vie privée ?
Reprenons mon exemple d'un poste de formateur en recrutement qui nécessite d'être quasiment une fois par semaine en région parisienne.Dans ce cas on a inséré ce qu'on appelle une question sur la volonté à effectuer les tâches.
Quelque chose comme : nous proposons le télétravail complet à nos salari·ées mais dans ce poste il va falloir être physiquement en région parisienne 40 et 50 jours par an. Est-ce quelque chose qui te convient ?
Ça a permis d’orienter la discussion autour de la contrainte et permis aux deux candidats qui habitaient à Lyon de valider que c’était ok.
Dans le cas d'un responsable de boutique qui s'inquièterait parce qu'il se dit qu'une personne qui a des enfants ne pourra pas gérer certains impératifs, c'est pareil, on demande :
Ce poste nécessite de pouvoir faire la fermeture (donc rester jusqu'à 20h) une fois par semaine. Est-ce que c'est quelque chose qui vous convient ?
Ou, pour reprendre un exemple du livre l'Entrevue structurée et qui aurait pu nous servir sur "le savoir-être" (ici la ponctualité) :
Cet emploi exige le respect d'un horaire très strict. Aucun retard non justifié ne peut être toléré, car ce sont les employés en place qui devront poursuivre le travail jusqu'à votre arrivée. Jusqu'à quel point êtes-vous prêt à accepter ces conditions?
Le danger des diplômes
Quatrième et dernier proxy de discrimination que je voulais évoquer, les diplômes sont la catégories la plus délicate.En effet, un diplôme est un critère objectif et concret, à l'inverse des trois points précédents.
Dans certains postes, certains diplômes sont mêmes obligatoires pour avoir le droit d'exercer. Car le diplôme est un proxy pour les connaissances et les savoir-faire (le K et le S du KSAO).
Alors tu me diras, où est le souci ?
Premièrement, toutes les personnes ayant les compétences n'ont pas le diplôme en face. Par exemple, le TOEIC et le TOEFFL mesurent la capacité à parler anglais, mais ce n'est pas parce qu'une personne ne les a pas passé qu'elle ne parle pas anglais.
Deuxièmement le diplôme est un proxy : un canal indirect. Donc il faut le manier avec la plus grande précaution. Il faut toujours privilégier une évaluation directe des critères.
Troisièmement, le diplôme est un critère qui nous expose à la discrimination des études.
Par exemple, dans les grandes écoles de commerce, il y a un consensus sur le top 3 des plus prestigieuses. Ce sont : HEC, l'ESSEC et l'ESCP.
Or, ce sont également les écoles de commerce dans lesquelles les promotions comptent le moins de femmes (entre 40 et 46%).
Alors que ça s'inverse totalement pour les écoles de commerce de milieu de tableau qui comptent plutôt 55 à 60% de femmes dans leurs promotions.
Par conséquent, quand un manager dit je veux quelqu'un du top 3, il pose de facto un filtre discriminant sur le genre.
Dans le cas des écoles de commerce, les chiffres ne sont pas trop catastrophiques. Mais dans certains cursus c'est une autre paire de manche.Plus de 80% des développeurs sont des hommes.
"Les femmes sont sous-représentées dans le domaine du numérique (30% des salariés du secteur du numérique, tous métiers confondus). Dans certains cas, la proportion descend même sous les 20 %. Cette tendance se constate également dans l’Union Européenne :
Si 57 % de l’ensemble des diplômés de l’enseignement supérieur sont des femmes, seulement 25 % ont obtenu un diplôme dans les filières du numérique, et 13 % de ces diplômées travaillent dans le secteur du numérique."
Comprendre pourquoi pourrait occuper un article à part entière mais il y a une question d'autocensure : "Cette même étude montre que 37% des lycéennes envisagent de s’orienter vers une école d’informatique ou une école d’ingénieur, contre 66% des garçons. Pourtant, 56% des lycéennes sont intéressées par l’informatique / le numérique !"
Par conséquent, si on exige un diplôme pour les personnes que l'on recrute à ce poste, on va (en l'absence de mesure de compensation) recruter un homme.
Il existe d'ailleurs une école qui essaie de faire bouger les lignes : l'Ada Tech School
C'est une école qui forme au métier de développeur/développeuse et qui a 70% de femmes dans ses promotions "C’est la manière de communiquer d’Ada Tech School qui motive les femmes à venir se former chez nous. Nous faisons connaître le métier de développeur.se différemment. Nous démontrons que le développement informatique fait appel à la logique et non pas à des compétences en mathématiques, comme beaucoup trop de gens peuvent le croire. Nous utilisons de nombreux témoignages de femmes qui sont en formation chez nous pour inspirer et faire naître des vocations.
Nous animons des conférences sur des thèmes qui nous tiennent à cœur : la pédagogie, le féminisme, l'inclusion dans les entreprises tech. Nous organisons des ateliers de code gratuits. Cela permet de lever les barrières à venir se former au développement informatique. Nous proposons aussi un kit de débutant avec notamment des tutos sur Youtube.
Par ailleurs, nous allons chercher les femmes là où elles se trouvent, notamment sur des comptes Instagram et communautés féministes.
Toutes ces actions permettent de lever des biais et des stéréotypes liés aux métiers de l’informatique."
Dernier exemple que j'ai découvert en suivant une formation à la non-discrimination du Groupe SOS : le brevet. Parfois des employeurs exigent le brevet pour des postes de manutention. Et ça exclut, là encore, des candidats qui pourraient faire le poste.
Par quoi remplacer la demande d'un diplôme
Là encore on a des moyens pour contourner le problème. Comme d'habitude on va essayer de partir du postes et des conséquences directes.
Par exemple, si un manager me demande une personne qui a fait une école de commerce du top 3, je peux lui demander de me raconter des anecdotes de personnes qui ont été dans ces écoles et qui ont particulièrement excellé à leur job.
Que faisaient ces personnes ? Concrètement ? Dans quel contexte ? Quels ont été leurs comportements ? Puis les conséquences positives de ces comportements ?
En posant la question ainsi on va pouvoir lister des comportements recherchés.Ce qui va nous libérer du proxy. On va chercher directement des personnes qui ont par exemple une grande capacité analytique, plutôt que juste "qui a fait HEC". Et on va le chercher grâce à des récits des comportements professionnels des candidats.
Idem pour la question du brevet. En réalité dans le cas en question l'entreprise avait besoin de personnes qui puissent lire et compter (mais pas écrire) pour bien comprendre les consignes.
Par conséquent, là encore, on peut s'émanciper de la demande du brevet et évaluer directement la capacité à lire et compter. Ce qui donnera leur chance à des personnes qui n'ont pas eu le brevet mais qui savent lire et compter.
Que retenir ?
On revient aux principes de la critérologie : choisir un critère clair et directement lié au poste. Pour y arriver on a une cartographie qui fonctionne mieux que savoir-faire/savoir-être, cette cartographie c'est les KSAO.
Mais surtout, toute les failles que je viens de décrire sont comblées par la pratique d'un entretien structuré comportemental.
Mais... ça, il me faudrait un peu plus de temps pour te le montrer en détails.
OBTENIR DES INFOS SUR NOTRE FORMATION
Sources :
Hiring Foreign Workers: The Effects of Nationality, Domestic Experience, and Xenophobia on the Types of Questions Asked during Employment Interviews - Aditi Rabindra SachdevThe employment interview: A review of recent research and recommendations for future research - Timothy A Judge, Daniel M. Cable, Chad A HigginsHiring as Cultural Matching: The Case of Elite Professional Service Firms - Lauren Rivera : https://journals.sagepub.com/doi/epdf/10.1177/0003122412463213