Les recruteurs ne méritent pas le respect
Ça fait plus de 9 ans que j'affirme que le recrutement mérite davantage de respect. Bien entendu, je le pense toujours. Encore plus aujourd'hui qu'hier.
Mais aujourd'hui je vais te raconter pourquoi, en l'état actuel des choses, les managers ont raison de ne pas respecter les recruteurs et les recruteuses. Car parfois, sans le vouloir, nous ne respectons pas le recrutement, nous-mêmes.
Feeling contre feeling
La plupart des recruteurs et recruteuses font encore des entretiens à l'intuition. J'entends même encore ce proverbe :
"la seule chose à se demander pendant un entretien c'est est-ce que j'aurais envie d'aller boire une bière après avec la personne qui candidate".
C'est un bon résumé de l'entretien à l'intuition. Ça en montre les dangers : juger quelqu'un sur l'affinité avec nous plutôt que de l'évaluer sur ses compétences.
D'ailleurs, quand je recrutais je ne pouvais pas utiliser ce conseil puisque, moi, je n'aime pas aller boire (et encore moins des bières) avec des inconnus.
On justifie cette méthode de l'intuition en disant que ça permet davantage de spontanéité, que l'entretien est un rapport humain.
Mais, dans ce cas, on pourrait dire pareil d'un entretien de psychothérapie ? N'importe qui peut être psy : il suffit d'écouter la personne en face de nous et de faire preuve d'humanité.
Bien sûr que non : il existe une méthode scientifique de l'entretien psychologique (même si beaucoup de psys en France opèrent à l'intuition, mais c'est un autre sujet).
De même, tu imagines si les procès se faisaient uniquement à l'intuition ? Sans une intense recherche de preuves et une délibération intense d'un jury ?
Le ou la juge regarderait la personne accusée dans les yeux et diraient je la sens bien : je la déclare innocente ou je le sens pas : je le déclare coupable.Tu penserais quoi d'une telle justice si elle te disait oui mais ça permet de garder la spontanéité, l'humanité...
Les managers voient très bien qu'on opère à l'intuition (ou en dehors d'une méthode efficace) et ça explique une partie de leur méfiance.
Puisque n'importe qui peut mener un entretien à l'intuition alors pourquoi se fier aux recruteurs ? Souvent les personnes qui défendent l'entretien à l'intuition disent je sens les gens ou je connais le comportement humain (sans avoir fait d'études en psychologie ou même ne serait-ce qu'ouvert un livre de psychologie ou de sociologie).
Pire encore, certaines personnes pensent avoir une forme de super-pouvoir :
Mais dans ce cas, qu'est-ce qui empêche un manager de dire pareil ? Qu'est-ce qui empêche une manager de nous opposer son intuition ?
Surtout que, si on y réfléchit bien, les managers ont davantage de chance d'avoir une bonne intuition de qui recruter puisque, contrairement à nous, ils et elles sont au contact quotidien du métier. Souvent, les managers ont même exercé le métier cible par le passé.
Les managers connaîtront toujours mieux les métiers que nous. Alors, si on leur oppose uniquement notre intuition pourquoi nous feraient-ils confiance ?
Et encore... là c'est en acceptant le principe qu'un entretien à l'intuition fonctionne. Sauf que ça ne fonctionne pas. Toutes les études pointent dans ce sens, et le monde académique essaie désespérément de comprendre pourquoi la méthode de l'entretien structurée ne s'impose pas.
Sans critérologie on s'égare dans les critères
J'ai inventé le mot critérologie. Il me permet de décrire la sous-partie de la science de l'évaluation qui s'attache à définir de bons critères.
Car, au commencement étaient les critères. Si jamais j'ai une trame de questions mais que ces questions évaluent des critères erronés alors ça ne sera pas mieux qu'un entretien à l'intuition. D'ailleurs on peut même dire que c'est un entretien à l'intuition puisque c'est l'intuition qui a permis de fixer les critères.
Par exemple, une intuition courante mais inefficace consiste à vouloir relier la pratique d'un loisir à une compétence du poste. L'idée c'est que si la personne pratique un sport collectif alors je peux déduire qu'elle a l'esprit d'équipe.
Intuitivement ça semble se tenir. Mais on sait désormais que c'est faux. Pour réfuter cette idée il faudrait tout un article qu'on écrira peut-être un jour mais en résumé :
- On ne peut pas transférer n'importe comment une compétence. Je peux être collectif au rugby et ne pas l'être dans ma vie personnelle ou professionnelle
- Même si on pouvait... comment s'assurer que la personne est douée dans le sport ? Il y a plein de personnes qui jouent au foot et sont mauvaises car trop individualistes. Comment je vais vérifier ça ? Je demande aux candidats de jouer devant moi ? Je leur demande des vidéos de leurs matchs ?
- Il y a malheureusement un effet discriminatoire caché. Car on valorise uniquement certains loisirs. On va valoriser le rugby mais pas le rap ou la couture. Et, même si toi ce n'est pas ton cas, les candidats savent qu'ils ne doivent jamais répondre "mon loisir c'est d'être rappeur" s'ils veulent le job.
Une autre intuition courante dans le choix de critère c'est d'évaluer le savoir-être. En l'occurrence, cette fois, l'article qui explique l'erreur est déjà écrit : https://blog.lecoledurecrutement.fr/le-savoir-etre-professionnel-existe-t-il/
Mais en résumé le savoir-être appartient au champ lexical du jugement et non de l'évaluation. C'est, en réalité, une insulte déguisée (ou a minima un jugement condescendant). La preuve ? Une compétence qu'on évalue peut être possédée ou pas. Par exemple : je n'ai pas la compétence de créer des macro Excel. Je ne suis pas le seul, si je vais dans une entreprise et que je demande à toutes les personnes qui n'ont pas cette compétence de lever la main, j'aurais plein de main levées.
Maintenant imaginons que je fasse pareil avec le savoir-être ? Qui va lever la main si je demande qui manque de savoir-être ?
Personne ne peut se revendiquer du manque de savoir-être, parce que précisément ce n'est pas une compétence mais bien une insulte. Ce qui existe en revanche c'est la personnalité. Et surtout les personnalités socialement désirables. C'est généralement ce qu'on recherche quand on cherche quelqu'un qui a du savoir-être.
Sauf que... il n'y a pas de lien entre la performance en poste et la personnalité socialement désirable. Selon le poste, certains traits de la personnalité socialement désirable seront des avantages et d'autres des obstacles.
Le plus souvent ça ne sera ni un avantage, ni un obstacle mais simplement une chose sans rapport.
Par exemple, l'extraversion n'est absolument pas corrélée à la performance. Pire encore, contrairement à ce qu'on pourrait croire, on n'observe pas que les commerciaux les plus extravertis, sont les plus performants.
Alors... comment savoir si un critère est efficace ? On a de la chance : la science de l'évaluation a fait le travail pour nous et a classé les critères qui permettent de prédire efficacement la performance en poste.
Cette classification s'appelle KSAO (Knowledge, Skills, Aptitude, Other) et Tania te l'a déjà détaillée dans cet article : https://blog.lecoledurecrutement.fr/recruter-sans-cv/
En résumé l'idée c'est que la performance peut découler :
- Des connaissances
- Des savoir-faire qui s'apprennent
- Des prédispositions et talents innés
- De la personnalité et de l'intérêt à faire les tâches
La critérologie nous affirme que pour avoir un bon critère il doit
1 - être choisi dans les KSAO
2 - être évalué le plus directement possible.
3 - être explicité de manière à ne pas laisser la place à l’interprétation (mais dans l’exemple suivant vu que je ne connais pas le métier je vais enfreindre cette règle : il faudrait détailler beaucoup plus)
Prenons Laure Manaudou, la nageuse. Elle a besoin :
- Des connaissances sur l'épreuve de natation (les règles, les techniques qui ont historiquement fait leur preuve ou pas...)
- Des savoir-faire qu'elle a entraînés : la technique de la brasse, du crawl, etc
- De sa prédisposition à nager. En effet, Laure Manaudou a ce qu'on appelle un taux de flottabilité plus haut qu'un humain moyen. En d'autres termes : la densité de ses os fait qu'elle flotte naturellement bien. On ne peut pas entraîner la flottabilité, on l'a ou on l'a pas.
- D'une éthique d'entraînement et de persévérance qui sont reliés au trait de personnalité qui s'appelle la conscienciosité
Au fait... depuis tout à l'heure j'utilise le mot "personnalité sans le définir. Si tu n'as jamais vu écrit le mot "conscienciosité" c'est probablement que tu ne connais pas la science de la personnalité.
On a déjà fait une conférence dessus que tu peux retrouver ici :
Mais, en résumé, le consensus scientifique c'est que la personnalité s'analyse en 5 (ou 6) grands traits de personnalité. On les appelle le Big Five.
Les autres analyses n'ont pas plus d'efficacité que l'astrologie. Il est donc de ta responsabilité de n'utiliser que des prestataires qui se fondent sur le Big Five.
Car, si nous utilisons des tests comme le DISC ou le MBTI... là encore on ne peut pas s'étonner que les managers ne nous respectent pas. Soit les managers croient en l'astrologie et ça va, soit les managers voient le problème, et leur estime pour notre métier diminue.
Comment être crédible quand on utilise un test DISC avec 4 couleurs qui est plus proche du test des 4 maisons d'Harry Potter :"Viktor Lau explique la large diffusion et la popularité du test DISC et de ses variantes (bien qu'il soit considéré comme dépassé, et que le modèle ignore les connaissances établies après les années 1920 concernant la recherche sur la personnalité), par l'effet Barnum, que l'astrologie utilise également"
Nous ne jouons pas suffisamment notre peau
En 2018, Nassim Taleb publie le livre Skin in the game. Il y développe dedans l'importance d'aligner les intérêts.
Pour illustrer le concept on prend souvent l'image du cochon et de la poule. Si un cochon et une poule ouvrent un restaurant, ils ne peuvent pas servir des oeufs et du bacon. Car, pour le cochon ça demande d'y mettre littéralement sa peau. Alors que pour la poule c’est un investissement mineur. Donc ils vont forcément avoir des tensions et des disputes sur comment gérer un tel restaurant.
La sagesse populaire française avait déjà saisi ce concept avec le proverbe : les conseilleurs ne sont pas les payeurs.
Il est facile de ne pas se rendre compte qu'on commet des erreurs quand ce sont d'autres personnes qui subissent les conséquences de ces erreurs.
Or, la posture de recruteur ou recruteuse est celle de la poule, pas du cochon.
Si le recrutement est mauvais, nous n'avons quasiment aucune conséquence. Souvent, nous ne le savons même pas. En plus, nous recrutons pour plein d'équipes différentes. Si on rate un recrutement, on peut se rattraper sur les autres. Ce n'est pas le cas des managers qui recrutent pour leurs équipes et doivent vivre au quotidien avec les conséquences du mauvais recrutement.
À cet égard je trouve que l'histoire de Marion est très éclairante. En effet, dans sa conférence j'ai découvert que je ne savais pas recruter... après 11 ans en cabinet, elle nous raconte comment elle a été recruteuse dans un grand cabinet de recrutement, pendant des années.
Elle n'avait aucun doute sur le fait qu'elle recrutait bien. Elle adorait faire passer des entretiens, elle avait la bonne intuition, elle laissait la magie opérer.
Puis, un jour :
"j'ai rejoint L'École Du Recrutement en tant que directrice commerciale et j'ai dû monter mon équipe. Donc j'ai dû recruter des commerciaux...Et puis... bon... en fait je me suis trompée.
J'ai fait des erreurs : j'ai recruté des commerciaux qui n'étaient en réalité pas des commerciaux, j'ai recruté des commerciaux qui n'étaient pas si performants que je le pensais, j'ai recruté des commerciaux qui n'étaient pas si bons que ça en rendez-vous...
Patatras mon petit monde s'écroule. Je me dis : mince, je sais plus recruter "
En passant de recruteuse à manager, Marion est passée de la position de poule à celle de cochon : de la position de conseilleuse à celle de payeuse.
Ça change tout : d'un coup on a un autre éclairage. Alors... je ne dis pas que ça suffit à avoir une expertise de recrutement... certains managers ne voient pas non plus leur incompétence car ils se disent que les mauvaises recrues sont des personnes qui les ont "escroqué" en entretien.
Tout le monde n'a pas la remise en question de se dire : j'y suis pour quelque chose.
Et puis, comme peu de gens connaissent de méthode d'évaluation... y'a une sorte de fatalisme : les managers voient que les entretiens à l'intuition ne fonctionnent pas mais n'ont pas d'alternatives à essayer. Donc ils et elles finissent par le voir comme un mal nécessaire.
Combien de fois j'ai entendu des patrons de Startup expliquer que la seule manière de recruter c'est de se tromper... de prendre des gens puis de voir pendant la période d'essai...Voilà ce qui est vrai : les entretiens à l'intuition sont inefficaces.
Pire encore : pour une évaluation efficace il faut plusieurs personnes impliquées. C'est ce qu'a mesuré Google en menant des recherches sur l'efficacité de ses entretiens. Il en est ressorti qu'aucune personne n'avait un jugement plus fiable que la moyenne du jugement du groupe.
En d'autres termes ça veut dire que personne ne possède une intuition efficace en entretien. Personne ne peut se vanter d'avoir le "compas dans l'oeil" : c'est en impliquant plusieurs personnes qu'on augmente significativement la fiabilité. Ce n'est pas un hasard si la justice fonctionne avec un jury.
À la lumière de tout ça, nous devons gagner en humilité et relativiser la confiance en notre propre capacité d'évaluation.Une personne très sûre d'elle dans l'évaluation n'est jamais une personne douée en évaluation, c'est une personne trop arrogante. Et, là encore, les managers le sentent. La plupart ne nous croient pas quand on leur dit je sens les gens.
Nous acceptons la discrimination
On a vu pourquoi les managers ont raison de ne pas respecter nos conseils si nous les fondons sur notre intuition (et dire l'expérience c'est pareil, ce n'est pas parce qu'on fait 11 ans une tâche qu'on la fait correctement).
Il est temps désormais d'aborder un sujet où je sais que, contrairement au point précédent, la quasi-totalité des gens qui me liront seront d'accord.
Ce sujet c'est la nécessité de lutter contre les discriminations.Pour le coup, si je devais parier je dirais que la position de la poule est, sur ce point, un avantage.
En effet, puisque je ne joue pas ma peau j'aurais peut-être moins tendance à me réfugier dans le confort de la discrimination. Mais il faudrait étudier correctement le sujet pour le savoir.
En tout cas ce que je peux dire c'est que, d'expérience, l'immense majorité des personnes qui recrutent ont déjà fait face à un manager qui, parce qu'il discriminait, a contredit leur conseil de recrutement.
Plus haut, je disais que les managers ont raison de ne pas nous écouter quand on fonde notre conseil sur l'intuition. Mais ça ne s'applique plus dans ce cas. Nous avons l'obligation légale de ne pas discriminer dans nos recrutements.
Sauf que, dans les faits, la plupart d'entre nous cédons sur ce point. Ça nous fait mal, on ne le fait pas de gaité de coeur, mais on le fait quand même.Quand on est en interne on se dit qu'on n'a pas de marge de manoeuvre. Quand on est en cabinet on se dit que si on commence à refuser les clients discriminants on n'aura plus assez de business.
Pour nous protéger, plus le temps passe, plus notre cerveau s'insensibilise à la question. Pour ne pas vivre en permanence avec ce poids.Je ne dis pas que c'est facile. C'est pour ça que j'insiste sur le fait que la majorité des gens aimeraient lutter. Mais ne trouvent pas le courage.
Sauf que, concrètement ça participe au fait que les managers ne nous respectent pas. En effet, s'ils ont le dernier mot sur quelque chose d'aussi absurde alors ils ont une forme de toute-puissance.Imagine ce que pense un manager quand tu acceptes sa requête discriminante ? Il sait pertinemment que c'est interdit. Mais tu vas lui fournir ce service interdit car il te le demande.Toute-puissance.
D'ailleurs, certaines entreprises prennent des actions fortes. C'est le cas de la SNCF où, si tu as un manager qui utilise un critère discriminant, un recruteur peut déclencher l'alerte auprès des RH. Après un certain nombre d'alertes, le manager en question se voit banni des process de recrutement.
Si cette personne a besoin de recruter à l'avenir, c'est un·e autre manager qui fera passer les entretiens.
Simple. Efficace.
À la dernière NCDR, la DRH d'un groupe de plusieurs milliers de personnes est d'ailleurs venue nous expliquer qu'elle avait mis sa démission en jeu car elle refusait d'accepter qu'un manager utilise ouvertement son homophobie comme critère de sélection.
L'entreprise a alors choisi de mettre un avertissement au manager en questionBien sûr... j'ai conscience que ça demande énormément de courage. J'ai également conscience qu'il y a également une responsabilité de l'entreprise et non pas uniquement notre responsabilité individuelle.
Mais, accepter que les managers utilisent des critères discriminants ne leur rend pas service. Notre rôle est précisément de les protéger d'eux-mêmes là-dessus.
D'autant plus que si un manager utilise ouvertement des critères de recrutement discriminants, imagine à quoi doit ressembler son management ?
C'est la remarque très juste d'une participante de la NCDR Paris : je comprends que tu aies accepté de ne pas recruter de femme à ce poste sur demande du manager, mais tu imagines à quoi doit ressembler son management sur les quelques femmes employées qu'il a sous sa responsabilité ? Ou même les interactions qu'il peut avoir au sein de l'entreprise ?
L'expérience candidat désastreuse
Si le recrutement a si mauvaise presse c'est parce que nous traitons collectivement mal les candidat·es. On en a déjà parlé à de multiples reprises mais l'expérience candidat est, en moyenne, très mauvaise.
"L’une des sources de frustration les plus courantes pour les demandeurs d’emploi est l’absence de réponse des recruteurs après l’envoi de leur candidature.
Selon des études récentes, 81 % des candidats ne reçoivent jamais de réponse, positive ou négative, après avoir postulé à un emploi, ce qui les amène à s’interroger sur leurs perspectives et à se demander s’il vaut la peine de poursuivre le processus de candidature."
Source : Pourquoi n’avez-vous pas de réponse à vos candidatures pour un poste à pourvoir ?
Pire encore, 79% des candidat·es déclarent avoir déjà passé au moins une fois un entretien à la suite duquel ils n'ont eu aucune réponse.
Dans la même étude, 24% déclarent avoir déjà eu "des questions déplacées, sans rapport avec le poste à pourvoir, ni avec leurs compétences."
Mais surtout, énormément se plaignent d'avoir des annonces qui se ressemblent toutes et ne permettent pas de se positionner. Enormément ont l'impression que le process de recrutement est un tirage au sort géant qui dépend de l'affinité que l'on aura avec le recruteur le jour de l'entretien.
De manière générale, les gens qui passent une bonne expérience de candidature sont assez rares.
Mais, quel est le rapport avec le sujet ? Pourquoi parler de candidat·es quand on parle de respect des managers ?
Parce que les managers ont toutes et tous été en position de candidat·e un jour.
Donc, une fois en poste, pourquoi nous feraient-ils confiance ?
D'ailleurs, contrairement à ce que beaucoup de recruteurs et recruteuses m'ont dit : les managers sont en grande majorité enthousiastes à l'idée d'avoir une méthode.
Comment je le sais ? Parce que ça fait des années que des responsables de recrutement nous sollicitent en disant qu'il faudrait former les managers mais que ça va être compliqué car ils ne voudront pas.
Pendant des années nous avons poliment décliné en expliquant que notre public c'était les recruteurs. Puis, un jour, j'ai accepté à la condition que je sois mis directement en contact avec des managers.
Ça peut paraître évident, mais à l'époque la question qui se posait c'était de leur proposer directement un parcours en ligne.
J'ai répondu que je ne pouvais pas me fonder sur ce que les recruteurs et recruteuses me disaient des managers. Je devais aller voir par moi-même ce public qu'on me décrivait comme totalement réfractaire et n'ayant pas le temps d'une formation au recrutement.
Et j'ai bien fait puisqu'on ne pouvait pas être plus loin du compte. J'ai eu face à moi un des meilleurs publics de ma carrière. Parce qu'ils n'avaient aucun ego à se dire ah bah oui en effet l'entretien au feeling c'est inefficace puisqu'ils savaient que ce n'était pas leur métier.
De même, la méthode de l'entretien structuré leur plaît... parce que c'est une méthode. Les bons managers aiment les méthodes. L'anarchie, l'intuition ne sont pas des méthodes.
Depuis, nous continuons à former de temps en temps des managers et Aurélien comme Tania (les deux autres formateurs) sont unanimes : les managers sont le meilleur public.
Parce qu'ils ne sont pas victimes de l'effet Semmelweis. L'effet Semmelweis c'est quand on s'accroche à une mauvaise pratique parce que sinon il faudrait accepter qu'on a mal fait pendant des années.
Ou, formulé par GPT :
"L'effet Semmelweis est nommé d'après un docteur hongrois, Ignaz Semmelweis. Il travaillait dans un hôpital à Vienne au 19e siècle. Il a remarqué que beaucoup plus de femmes mouraient après avoir accouché dans une clinique dirigée par des docteurs par rapport à une autre dirigée par des sages-femmes.Semmelweis a pensé que le problème venait des docteurs et des étudiants en médecine qui touchaient des cadavres puis allaient aider les femmes à accoucher sans se laver les mains. Il a donc demandé à tout le monde de se laver les mains avec de l'eau contenant du chlore. Après ça, beaucoup moins de femmes sont mortes.Beaucoup de docteurs ont détesté cette idée. Ils étaient vexés et ne croyaient pas que ce soient eux le problème. Ils ont alors commencé une campagne de dénigrement. Semmelweis a perdu son travail et est mort à 47 ans dans un hôpital psychiatrique.Aujourd'hui, on utilise le terme "effet Semmelweis" pour parler des moments où des idées simples et efficaces sont rejetées parce qu'elles remettent en question la manière habituelle de faire les choses."
Les managers n'étant pas soumis à cet effet ils sont preneurs de formation et de méthode.
Alors, dans ce cas, pourquoi la plupart des recruteurs me disaient que les managers étaient réfractaires ? On en revient à mon hypothèse : je pense que c'est avant tout parce que beaucoup de recruteurs opposent leur feeling à celui des managers. Or, ce qui va les convaincre c'est une méthode.
Il faut que l'on se forme
Bien entendu je dis tout ça en connaissant la réalité du métier : il n'existe quasiment pas de formations académiques au recrutement. Ce qui se rapproche le mieux d'une formation au recrutement selon moi c'est une formation en psychologie. Quelqu'un qui a un diplôme de psychologie du travail a davantage de chance de connaître la "critérologie" et le reste de la science de l'évaluation.
Mais il lui restera à apprendre la partie sourcing et copywriting.Par conséquent, l'immense majorité d'entre nous devons apprendre en formation continue. Avec toutes les difficultés que ça pose : pouvoir se bloquer du temps, trouver une formation de qualité, réussir ensuite à appliquer ce que l'on a appris en embarquant les autres, etc.
Je le sais car moi-même, j'ai le plus grand mal à trouver des formations pour mon métier de formateur.Bien entendu, tu me vois venir, je vais te dire que je peux t'aider à te former.
PRENDRE 15 MIN POUR SE FORMER OU FORMER SON ÉQUIPE
Mais, pour ne pas te laisser sur ta faim, voici quelques pistes pour t'auto-former.
7 pistes d'auto-amélioration
#1 | Envisage-toi comme la personne experte en méthode d'évaluation
Prends-toi de passion pour les sciences de l'évaluation. Afin de devenir la personne référente en méthode d'évaluation et non pas la personne qui se pensent naturellement douée en évaluation.
C'est un changement total de posture. Plutôt que de faire feeling contre feeling, je le sens pas contre je le sens bien... tu vas accepter que ton jugement est biaisé et que tu es une des personnes les moins bien placées car tu ne joues pas ta peau sur un recrutement.
Ça va te permettre une posture plus détendue. Tu vas pouvoir laisser le manager utiliser sa connaissance du métier tout en le guidant. Tu deviens la personne qui connaît par coeur les règle de la manière de faire une bonne évaluation, plutôt que de croire que tu es la personne la plus douée en évaluation.
#2 | Apprends la critérologie
Tu l'as compris, ce mot n'existe pas. Mais si tu tapes dans Google "KSAO" tu vas commencer à explorer ce champ. L'idée c'est que tu acquières une maîtrise telle de la science de sélection des critères que tu puisses rapidement dire : ce critère ne peut pas marcher.
Par exemple : un diplôme est-il une connaissance ? Un savoir-faire qui s'entraîne ? Une prédisposition ? Un trait de personnalité ?
Rien de tout ça. Un diplôme est un critère indirect : on fait confiance à d'autres gens qui ont évalué les connaissances à notre place.
Le savoir-être ? Tu vas devoir ce que tu veux dire dans la carte KSAO des critères. Par exemple peut-être que ce que tu recherches c'est l'extraversion (la facilité à sourire en clientèle, etc). Mais dans ce cas... est-ce directement lié à l'emploi ? Ou est-ce un critère qui te sert à juger au lieu d'évaluer ?
#3 | Adopte la posture de l'agence immobilière
Les agent·s ont la même problématique que nous : devoir choisir quelque chose à la place d'une autre personne. Par conséquent, il faut trouver la bonne posture.
À la fois être capable d'aider la personne à mettre des mots sur ce qu'elle cherche. Mais également lui dire quand elle fait manifestement fausse route car elle cherche quelque chose qui n'existe pas sur le marché.
À cet égard, j'aime beaucoup le triangle d'or de la gestion de projet : Qualité - Délais - Coût.
L'idée c'est qu'on ne peut jamais avoir tout le triangle, on peut avoir uniquement deux points à la fois.
Par exemple on peut faire un recrutement rapide, d'un profil pas cher, mais la qualité du recrutement va en pâtir. On peut trouver un profil pas cher et maintenir notre exigence de qualité mais dans ce cas ça va prendre du temps.
On peut trouver un profil de qualité, rapidement mais dans ce cas il faudra proposer un salaire au-dessus du marché. Et ainsi de suite.Cet outil pédagogique permet de demander au manager ce qu'il préfère parmi les 2.
#4 | Faire du brief une priorité
Le triangle d'or est un raccourci mais rien ne peut remplacer un vrai brief. Or, c'est malheureusement une des étapes les plus négligées.
Nous sommes face à un cercle vicieux : les managers ne font pas confiance en notre valeur ajoutée alors ils veulent passer le moins de temps possible avec nous. Sauf que... ça diminue la qualité de notre recrutement ce qui... renforce la défiance des managers.
Il faut réussir à briser ce cercle et expliquer qu'on ne peut jamais économiser le brief. Tout ce qu'on gagne à bâcler un brief c'est des erreurs de recrutement en bout de chaîne.
D'autant plus que la plupart des gens négligent à quel point ils ont une idée flou de ce qu'ils veulent. Se poser en brief va obliger le manager à mettre des mots dessus. C'est beaucoup plus compliqué que l'on ne croit.La dernière fois que j'ai recruté pour mon équipe, Vincent Cochet (un recruteur indépendant) m'a demandé ce que je cherchais chez un formateur ou une formatrice. Au début je n'avais rien qui me venait.
Je me suis senti bête, surtout après avoir enseigné le brief pendant tant d'année. Mais en fait c'est très dur quand on est dans la position du manager.
Après un temps de réflexion, j'avais des mots vagues en tête comme : empathique ou amour de la prise de parole en public.
Vincent m'a alors aidé à les approfondir. À la sortie du brief j'avais les idées beaucoup plus claires. Ce qui a permis ensuite d'avoir un cadre commun de discussion.
Car, si Vincent avait bâclé le brief en disant ok tu veux quelqu'un avec de l'empathie et qui aime parler en public, pendant les entretiens j'aurais repéré d'autres problèmes (parce que 2 critères ne peuvent pas suffire). Mais j'aurais probablement aussi été en désaccord avec les candidat·es qui m'auraient été présenté comme empathiques (car on aurait pas défini clairement ce que c'était).
Au final, j'aurais ressenti de la frustration et Vincent aussi.
De même, Vincent m'a obligé à faire des choix, à limiter la liste des critères. Sinon une fois qu'il m'avait débloqué, j'étais parti pour demander la lune.
Sa posture m'a permis d'identifier quels seraient les critères indispensables et quels seraient les endroits où je pourrais former la personne à son arrivée si besoin est.
Dernier bénéfice, et pas des moindres, ça permet à Vincent de savoir quoi dire lors d'un retour négatif. Au-delà de juste Nicolas ne t'a pas senti.
#5 | Apprends l'entretien structuré comportemental
Les points précédents vont forcément te mener ici. Cette méthode (qui comprend donc la critérologie) va te permettre d'avoir des outils directement opérationnels pour mener des entretiens efficaces.
Par exemple en sachant reconnaître en une fraction de seconde si une question est prédictive ou pas.
Malheureusement, la plupart des questions que l'on pose en entretien sont en réalité inefficaces.
Mais, là encore, ça mériterait tout un article. Ce que tu peux retenir c'est qu'une bonne question va essayer de faire décrire un comportement. Pour ensuite le comparer aux comportements attendus sur le poste.
Par exemple si je cherche quelqu'un qui arrive à s'organiser en autonomie je pourrais demander aux candidats de me raconter une fois où ils ont dû prendre une décision en l'absence de leur manager.
Ou alors je pourrais leur présenter une situation et leur demander quels seraient leur comportement face à cette situation.
#6 | Renseigne-toi sur la communication non-violente (CNV)
Selon mon expérience, une grande partie des problèmes entre recruteurs et managers proviennent de la peur du conflit des premiers.
Comme on a peur du conflit, on ne va pas exprimer notre avis sur le recrutement. Que ce soit sur des sujets lourds comme la discrimination mais également simplement sur la décision de prendre le candidat A plutôt que la candidate B.
De manière générale, les outils de la CNV sont vraiment efficaces pour réussir à tenir la ligne de crête entre se laisser marcher sur les pieds et déclencher une guerre.
Le livre que j'ai trouvé le plus facile à comprendre et à appliquer c'est Cessez d'être gentil soyez vrai !" dont le titre est très mal choisi.
Ou plutôt c'est un très bon titre pour vendre. Mais ça ne décrit absolument pas le contenu du livre. Si j'avais su je l'aurais lu beaucoup plus tôt car il propose vraiment des outils opérationnels pour réussir à tenir cet équilibre. Sortir du dilemme : je me tais ou je l'agresse.
Avoir une troisième voie.
#7 | Suivre une formation à la non-discrimination
L'an dernier, j'ai suivi une formation à la non-discrimination. Merci au passage à la formatrice : Pascaline du groupe SOS.
J'avais beau m'être énormément renseigné sur le sujet, j'ai quand même identifié des points morts sur lesquels il me faut travailler.
Petit conseil : choisir une formation qui aborde frontalement la question de la discrimination. Je sais que c'est tentant de choisir une formation qui prend l'angle des biais (c'est moins vexant de se dire qu'on a des biais inconscients plutôt que des lacunes dans notre formation), mais ces formations ont tendance à passer à côté du sujet.
Savoir qu'on a des biais, ok. Mais déjà la discrimination ne passe pas uniquement par des biais : quand on accepte la requête ouvertement discriminante d'un manager c'est une décision consciente. Et ensuite, le propre des biais inconscients et d'être inconscients... donc faire toute la liste est souvent un peu inutile.
Plus d’expertise et moins d’ego
J'espère que tu l'as compris : l'idée ici n'est pas de jeter la pierre et de dire que le recrutement ne mérite pas de respect. Je le redis : le recrutement doit être respecté. Mais, justement, nous devons être les premiers et les premières à respecter le recrutement en développant une expertise.
Nous ne pouvons pas nous contenter de nos intuitions si nous voulons gagner le respect des managers qui recrutent et qui contrairement à nous "jouent leur peau".
D'autant plus que l'expertise a un effet contre-intuitif : elle rend humble.
Plus on a d'expertise sur quelque chose, plus on en voit les subtilités et plus on sait que les choses ne sont pas si simple. Du coup on a tendance à avoir des avis moins tranchés et prendre davantage de précaution.
Mais surtout... l'expertise se voit. Si jamais tu apprends la critérologie, tu vas impressionner des managers : car tu auras les bons réflexes, la bonne pertinence.
Et que tu vas arrêter d'essayer de jouer leur rôle. Tu restes dans le tien : la connaissance des méthodes d'évaluation. Plutôt que de jouer ton ego sur mon intuition a plus de valeur que la sienne.
C’est comme tout dans la vie : plus je maîtrise un sujet, plus j’ai une expertise véritable et plus je suis solide, moins je risque de mettre d’ego.
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Sources :
Pourquoi on se repose de manière si têtue sur l’intuition et la subjectivité dans le recrutement : https://www.cs.jhu.edu/~misha/DIReadingSeminar/Papers/Highhouse08.pdfRepenser la vision du commercial idéal, l’avantage des ambivertis : https://faculty.wharton.upenn.edu/wp-content/uploads/2013/06/Grant_PsychScience2013.pdfLa fiche wikipédia du test DISC :https://fr.wikipedia.org/wiki/DISC