L'étrange similitude entre les recruteurs et la SNCF

En discutant avec des recruteurs pendant un lancement de LEDR Pro, j’ai été frappé par une révélation : nous nous comportons comme la SNCF.

J’ai déjà eu l’occasion de vous en faire part lors du programme une saveur de recrutement par jour, pendant la première question bête du vendredi. Et vous avez énormément réagi. J’ai été positivement surpris par le nombre de retours que vous m’avez fait.

Mais c’était à chaque fois dans l’intimité des échanges emails. Cette fois-ci je vous propose de partager vos pratiques directement en commentaires, pour que tout le monde puisse en profiter. Ceci étant dit, allons-y.

Que reproche-t-on à la SNCF ?

Les retards, vraiment ?

L’immense majorité des gens reprochent à la SNCF ses trains en retard. Certaines personnes vont même jusqu’à dire que quasiment tous les trains sont en retard. Et pourtant quand on y réfléchit c’est quelque chose d’assez étonnant. Le retard fait partie intégrante de la logistique. Dès que vous avez une logistique vous avez potentiellement des retards.

D’ailleurs, à titre personnel, j’ai également l’impression de n’avoir jamais pris un vol Ryan Air ou Easy Jet à l’heure. Et pourtant, on entend beaucoup moins de ressentiment à l’égard des compagnies aériennes.

Pourquoi ? Est-ce parce qu’il y a trop de retards de train ? A priori non. Si on s’en tient aux TGV, 7 trains sur 8 étaient à l’heure en 2016 (et 9 sur 10 en 2014). Les TGV sont donc globalement très à l’heure. Avec un taux de retard variant entre 10 et 13%.

D’ailleurs, si on fait la comparaison avec les compagnies aériennes on observe bien que les taux de retard des avions sont supérieurs chez Ryan Air (16%), Air France (26%) et Easy Jet (32%). [source : lci]

Ce n’est donc pas le taux de retard qui explique en soi le fort niveau de ressentiment des usagers.

La communication floue

En réalité, ce n’est pas tant le retard que la manière de communiquer dessus qui pose problème. Parfois on se demande si ce n’est pas un concours de flou artistique, tellement c’est déconcertant.

Vous connaissez déjà le scénario tellement il est classique. On commence par vous dire que le train est à l’heure. Puis 5 minutes après l’heure on vous dit qu’il a 10 minutes de retard. Puis 20 minutes après l’heure on vous dit que le train a 30 minutes de retard.

En termes de ressenti, c’est terrible. Le fait de ne pas savoir combien de temps vous allez attendre rend l’attente insupportable. Alors que si on vous avait dit avant et de manière fiable que le train avait 30 minutes de retard, vous auriez pris votre mal en patience. Mieux encore : si vous aviez reçu un email avant pour vous avertir.

La communication désincarnée

Non seulement la communication est floue mais en plus elle est totalement froide et sans émotion. Personne ne compatit car tout est dit dans un langage abscons et impénétrable. Quand on vous dit que votre train est arrêté « en raison d’un problème de signalisation », vous ne comprenez pas ce que ça signifie. Quand on vous dit qu’il y a « un problème de caténaire », vous ne comprenez pas non plus.

Et pourtant, une simple recherche Google nous apprend que ce sont deux incidents qui peuvent nous mettre en danger (ce qui explique les procédures de sécurité).

La signalisation nous évite par exemple que deux trains se percutent. Voici ce qu’en dit un conducteur sur un blog :

Une fois que l’on connaît les coulisses, on est d’un coup plus compatissant. Vous remarquez qu’ici c’est un témoignage d’un conducteur, lui-même. Et il s’exprime comme un être humain normal. (Son témoignage complet est à retrouver ici)

La banalisation de l’extraordinaire

L’autre problème c’est que les interlocuteurs de la SNCF ont tendance à banaliser la situation. C’est humain : pour eux c’est une situation ordinaire qu’ils voient régulièrement. Le problème c’est que de votre point de vue, la situation sort totalement de l’acceptable. Ce décalage de perception mène très vite à de la colère.

D’autant plus que vous êtes totalement impuissant dans ce type de situation. Vous n’avez à peu près aucun pouvoir pour imposer votre volonté.

Que faisons-nous en tant que recruteur ?

Pourquoi je vous parle de la SNCF ? Certainement pas pour l’accabler ni pour alimenter les clichés (en vérité c’est une situation bien plus complexe que ce qu’on veut bien reconnaître). Non, je vous en parle parce qu’il est plus facile de voir la paille dans l’oeil de son voisin que la poutre dans le sien.

Si vous ne voyez pas où je veux en venir, remplacez « SNCF » par « recruteurs » et « retards de train » par « non-réponse aux candidatures ».

Ou regardez cet article :

http://www.topito.com/top-excuses-sncf-justifier-retard-trains

Puis regardez celui-ci :

http://infossolidarite.over-blog.fr/article-les-plus-belles-excuses-pour-refuser-un-candidat-58004334.html

Et le parallèle devrait commencer à vous saisir.

La communication floue

En tant que recruteurs, nous battons aussi des records en la matière. La palme en la matière étant attribuée au dévastateur :

Nous avons bien reçu votre candidature et vous remercions de l’intérêt que vous portez à notre entreprise. Si vous ne recevez pas de retour dans notre part d’ici 3 semaines, vous pouvez considérer que votre candidature n’a pas été retenue.

Je ne sais même pas comment on peut écrire ça à un humain tellement c’est violent. Le flou ici est total.

Ne parlons même pas du fameux « vous étiez surqualifié(e) » qu’aucun candidat n’a jamais compris.

Il en va de même pour la pratique de « garder au chaud » un candidat alors qu’on sait pertinemment qu’il y a très peu de chances que ça aboutisse avec lui. Encore une fois, le problème ce n’est pas le refus en soi, c’est le flou. Là encore, on impose à quelqu’un une attente sans lui en donner les délais, ni lui expliquer vraiment de quoi il en retourne.

La communication désincarnée

Peut-on faire plus désincarné, plus robotique, plus froid que :

Nous avons bien reçu votre candidature et vous remercions de l’intérêt que vous portez à notre entreprise. Si vous ne recevez pas de retour dans notre part d’ici 3 semaines, vous pouvez considérer que votre candidature n’a pas été retenue.

Probablement pas. Et là encore l’interlocuteur ne peut pas compatir avec vos difficultés logistiques (avoir trop de candidatures). Si vous vous exprimez comme un robot, vous ne pouvez pas susciter d’empathie humaine.

La banalisation

À force de recruter on finit par ne plus réaliser ce qui est inacceptable : on s’y habitue. Quand on donne les chiffres sur l’ampleur de la non-réponse chez un public autre que des recruteurs, tout le monde est scandalisé. Quand on fait la même chose chez un public de recruteurs on a tout de suite une tentation de la minimisation.

On en arrive à une situation ubuesque où vous avez 79% des candidats qui déclarent s’être déjà déplacé en entretien de recrutement pour n’avoir ensuite aucune réponse. Pas étonnant après que le métier de recruteur souffre d’une image terrible au sein de la société.

D’ailleurs, vous remarquez que là aussi, l’interlocuteur est impuissant et n’a aucun pouvoir. Ce qui exacerbe son sentiment d’injustice et sa colère.

Les candidats se fichent de nos excuses

Imaginez-vous, la veille du réveillon, bloqué(e) dans une ville alors que vous essayez de vous rendre dans la ville de votre famille. Que se passera-t-il si quelqu’un vient vous expliquer que la SNCF n’a pas les moyens financiers pour assurer un service régulier ? Vous seriez probablement incapable de l’écouter.

C’est exactement pareil quand on dit « on a pas le temps de répondre aux candidatures ». Ce n’est pas le problème du candidat. Il n’y a aucune excuse admissible pour le silence. On oublie souvent l’effet terrible du silence sur un amour-propre, une confiance en soi et la capacité à planifier. C’est pour cela qu’on dit que « le silence est la meilleur forme de mépris ».

D’ailleurs, comment peut-on parler de marque employeur à longueur de journée et ensuite accepter ne pas répondre aux candidats ? Après tout, c’est bien nous qui postons les annonces, non ? Quelle image de marque renvoie-t-on quand on ne répond pas à des gens qui répondent à notre propre sollicitation ?

Et l’argument de la pertinence des candidatures ne tient pas. Si on joue au jeu de l’annonce il faut en accepter les tenants et les aboutissants. On ne peut pas avoir le beurre et l’argent du beurre. Si on veut une méthode propre et sans candidatures non pertinentes on peut se tourner vers le sourcing. Comment vous vous sentez quand vous entrez dans une boutique et que les vendeurs vous toisent sans un mot parce qu’ils sentent que vous n’avez pas les moyens d’acheter chez eux ?

L’argument du volume des candidatures ne tient pas non plus. Accepteriez-vous qu’un vendeur vous dise : il y a trop de demandes donc on a encaissé votre paiement mais on ne peut pas vous livrer le produit ? J’ai récemment discuté avec le service recrutement d’un des plus gros employeurs de France. Et on m’a expliqué que désormais le nombre de candidatures à une annonce était limité à 30. Après 30 candidatures, l’annonce est automatiquement suspendue en attendant qu’on traite les 30 candidatures. Autrement dit une pratique commerciale vieille comme le monde : je ferme mon guichet si je n’ai plus de stock.

Les excuses sont d’autant plus inaudibles que certaines entreprises (et pas les moindres) y arrivent. Voici ce que m’a dit un recruteur récemment :

Ce n’est pas tant une question de temps que d’organisation. J’ai passé 10 ans de ma carrière à me dire que ce n’était pas possible. Puis un jour j’ai eu une révélation : je n’avais jamais essayé. J’ai donc tenté l’aventure. Je me suis rendu compte que le secret c’était de ne jamais attendre pour dire non, de ne pas garder des candidats sous le coude alors qu’on sait qu’ils ne sont pas dans le périmètre. Dire non immédiatement pour éviter qu’ils ne s’empilent dans la fille d’attente.

J’ai préparé des modèles de mails pour chaque cas de figure que j’ai écrit moi-même avec ma propre plume et non pas des mots froids. Ce n’est pas un retour personnalisé mais au moins on sent que j’ai pris le temps d’écrire. Et, depuis, je reçois régulièrement des messages de candidats qui me remercient de leur avoir répondu.

Au final, combien sommes-nous à dire que c’est impossible avant même d’avoir essayé ? Et même en admettant que c’est impossible, c’est un problème tellement grave qu’on ne devrait jamais arrêter de s’essayer.

J’ai également eu un autre retour dans un cabinet qui a pris le temps de réécrire son message d’accusé de réception. Ce n’est toujours pas optimal mais au moins l’email est humain. L’email explique en détails pourquoi la réponse peut prendre du temps, décrit en détail le processus et les personnes impliquées avant de finir en s’excusant par avance si sa candidature n’avait pas de réponse.

Et au-delà du simple fait de répondre aux candidatures, réintroduire de la transparence dans la communication résout déjà une grande partie du problème. Si vous ne le faites pas avec les candidats de l’annonce, faites-le au moins avec les quelques-uns qui parviennent jusqu’à l’entretien : en donnant des dates butoirs claires et en détaillant le processus. J’aurais pu nous comparer avec les taxis (comparés à Uber). Or, qu’est-ce qui fait le succès d’Uber ? Sa technologie ? Pas vraiment. C’est avant tout une question de service client. Et dans ce service client vous avez une communication claire et transparente : vous pouvez voir la position exacte du chauffeur et vous savez à l’avance combien vous allez payer. Tout n’est pas source d’inspiration dans le modèle Uber mais sur la notion de service client on a là matière à apprendre.

Conclusion

Nous sommes toujours de mauvaise foi face à nos propres manquements dans le service client et le professionnalisme. Alors qu’on les voit toujours quand c’est chez les autres. Je m’inclus évidemment dans le propos. Par exemple, sur LEDR Pro, la certification passe par un travaux pratiques que les participants doivent m’envoyer pour correction. Et comme c’est un exercice extrêmement rébarbatif, je mets toujours des semaines à corriger et à répondre. Or, si je n’y prends pas garde, j’ai tendance à me dire que c’est normal, que je n’ai pas le temps, etc.

L’important c’est de réussir à identifier ce type de mécanisme et à mettre en place de quoi le contrer. Et vous ? Qu’avez-vous mis en place pour traiter les candidatures entrantes ? Avez-vous déjà essayé de répondre à tout le monde ? N’hésitez pas à partager vos expériences en commentaires !