Le savoir-être professionnel existe-t-il ?

Je donne régulièrement des formations sur l’entretien structuré. Or, il y a une question qui revient régulièrement :

Comment évaluer le savoir-être des candidats en entretien ?

Il y a plusieurs présupposés derrière cette question. Notamment le fait qu’il faille évaluer différemment les compétences métier et les traits de personnalité. C’est un sujet à part entière qui mériterait un article entier. Mais ce que je veux fouiller ici c’est l’autre partie de la question : l’existence même du savoir-être. Car, je vais enfoncer une porte ouverte, pour évaluer quelque chose il faut savoir ce qu’est ce quelque chose.

Ces gens qui n’ont pas de savoir-être

Un des réflexes que j’ai développé grâce à mon professeur de philosophie de prépa c’est de toujours essayer de retourner les phrases. Par exemple si je lis qu’une entreprise a comme valeur “l’honnêteté”, je vais me demander mais qui peut bien se revendiquer de la malhonnêteté ?

C’est une bonne astuce pour jauger la profondeur d’un concept. Si personne ne peut se revendiquer de la malhonnêteté alors il est creux de se revendiquer de l’honnêteté. Or, ici, quand on retourne le concept de savoir-être, on tombe sur quelque chose d’assez effrayant.

S’il y a des gens qui ont du savoir-être ça veut dire qu’il y a des gens qui n’en ont pas ? 

Ça me paraît violent, non ? Qu’est-ce qu’une personne qui ne sait pas être ?

Même si on se place d’un point de vue strictement professionnel, j’ai du mal à bien comprendre où on veut en venir. Quand je pose la question, en formation, on me répond souvent sur les trois mêmes axes.

Le premier : l’impolitesse. Il y a des personnes qui manquent d’éducation. Là encore l’expression me glace le sang car je sais à quel point on part de là sans mauvaise intention et comment on peut arriver très rapidement à dire d’individus qui ont simplement une culture différente de la notre qu’ils manquent d’éducation. Comme s’il n’y avait qu’une éducation possible.

La deuxième axe qui revient : l’introversion. On ne me le dit pas comme ça, on me dit plutôt “on veut des personnes dynamiques”. C’est une notion tellement intégrée que les personnes qui candidatent ont tendance à la répéter. Dans les lettres de motivations, les candidat·es écrivent souvent“dynamique et motivé”. Mais qu’est-ce qu’une personne dynamique ? On pense souvent à quelqu’un qui a beaucoup d’énergie, d’enthousiasme. En d’autres termes, on pense à une personne extravertie.

Là encore, le propos est glissant. Doit-on refuser de recruter toutes les personnes introverties ? Sur certains postes, ça me semble évident. Mais sur d’autres c’est hors de propos. Je dirais même qu’il y a des postes où il vaut mieux être une personne introvertie.

Le troisième axe : le manque de rigueur. Là on me parle de personnes qui manquent de professionnalisme. Je pense que c’est le propos qui me pose le moins spontanément de problème. Mais quand même… qu’est-ce que le professionnalisme ? Chaque fois que je montre à des potes mes échanges avec mes collègues, on me dit “j’oserai jamais parler comme ça, c’est pas professionnel”.

Aussi, j’affirme que ce qu’on appelle le professionnalisme est totalement contextuel et dépend entièrement de la culture d’entreprise. Dans certaines entreprises, tutoyer au premier contact sera vu comme un manque de professionnalisme. Dans d’autres, ce sera la norme.

On le voit, le savoir-être est une notion floue. Ou alors carrément problématique quand on essaie de la préciser. Que veut-on donc vraiment dire quand on se demande comment évaluer le savoir-être ?

Je te rassure : je ne vais pas me contenter de dire le savoir-être n’existe pas et lâcher le micro comme si j’avais inventé l’eau tiède. 

En effet, je comprends très bien ce qu’on essaie de dire quand on utilise le concept flou. Je comprends qu’on utilise l’expression comme on dirait soft skills. Je comprends qu’on veut parler de la personnalité.

Le bon concept : la personnalité

Aujourd’hui quand j’écris personnalité ça ne choque pas. C’est un concept communément accepté. Mais ça n’a pas toujours été le cas. Nous n’avons pas toujours été convaincus qu’il existait chez les humains des caractéristiques mentales qui persistaient sur le long terme. Le concept de personnalité a été découvert, en environ un siècle.

Tout commence en 1884 quand Sir Francis Galton (le cousin de Darwin) se dit qu’il doit être possible d’analyser les personnalités en se servant des mots des dictionnaires de plusieurs langues. L’idée c’était que plus un trait de personnalité était important pour une société humaine et plus elle aura de chances d’avoir un mot pour le décrire. En croisant les dictionnaires de plusieurs langues et en regardant les mots en commun, il devrait donc être possible d’avoir un bon inventaire de toutes les variations de personnalité.

Et là… Francis Galton il se dit qu’il a assez travaillé comme ça et il passe à autre chose.
En même temps, il avait d’autres chats à fouetter, notamment tout un champ de la psychologie à révolutionner. Mais c’est une autre histoire.

Il faut attendre un peu plus de 50 ans pour que deux autres scientifiques essaient cette idée, en 1936. Ils commencent avec une liste de 4 500 mots. 4 500 adjectifs qui décrivent des caractéristiques de personnalités.

Je te passe les détails historiques mais s’ensuivent encore 50 ans de travaux. L’idée étant de fusionner chaque mot jusqu’à ce qu’on ne puisse plus. De la même manière que la science sociale a réussi à trouver un facteur qui réunit tous les aspects de la cognition (mesuré par le QI), elle a essayé de trouver un facteur qui réunit tous les aspects de la personnalité. 

C’est-à-dire une variable unique qui serait avantageuse : une intelligence émotionnelle, mesurée par un QE.

Je te spoile : ça a été un échec. On n’a pas trouvé le QE.

Car, en fusionnant les mots qui se ressemblaient on s’est heurté à un mur. En effet, une fois arrivé à 5 traits (ou 6 selon les équipes), plus personne n’arrivait à fusionner les caractéristiques. Par exemple, on peut dire que la gentillesse, la politesse et la générosité appartiennent à la même famille. Mais on voit bien que l’ouverture au changement et l’amour de l’abstraction ne peuvent pas être de la même famille.

Plusieurs équipes sont tombés sur les mêmes 5 traits, sans se concerter. Et à chaque fois l’incapacité de continuer la fusion.

Alors que pour les aptitudes cognitives on arrive à trouver un lien de fusion entre capacité à s’exprimer, facilité à lire, capacité à s’orienter dans l’espace, etc. On appelle ce lien le facteur g. On pourrait aussi l’appeler intelligence(mais le problème c’est que c’est polémique car tout le monde ne définit pas l’intelligence de la même manière).

Tout ça pour dire qu’on n’a pas trouvé d’intelligence émotionnelle. En revanche, on a trouvé 5 grands blocs irréductibles. Les voici :

  • Ouverture 
  • Conscienciosité 
  • Extraversion
  • Agréabilité
  • Névrosisme

Ce sont les 5 grands traits de personnalité. On les appelle aussi le Big 5. Le consensus scientifique est très large autour du Big 5 (même s’il y a des débats pour introduire un sixième trait qui serait l’honnêteté-humilité un poil différent de l’agréabilité). 

Conséquence : les seuls tests de personnalité valides scientifiquement sont ceux qui s’appuient sur le Big 5. En ce sens, le MBTI n’est pas fondé scientifiquement. Idem pour le DISC. Je ne développe pas car il faudrait un article à part entière pour réfuter correctement ces derniers. Notamment expliquer pourquoi ce qui fait consensus dans la communauté scientifique ne fait pas consensus dans le monde de l’entreprise.

Mais que veulent dire ces traits ? Voici la définition de Wikipédia :

Ouverture : appréciation de l’art, de l’émotion, de l’aventure, des idées peu communes ou des idées nouvelles, curiosité et imagination ;


Conscienciosité : autodiscipline, respect des obligations, organisation plutôt que spontanéité ; orienté vers des buts ;


Extraversion : énergie, émotions positives, tendance à chercher la stimulation et la compagnie des autres ;


Agréabilité (amabilité) : une tendance à être compatissant et coopératif plutôt que soupçonneux et antagonique envers les autres ;


Neuroticisme ou névrosisme, contraire de stabilité émotionnelle : tendance à éprouver facilement des émotions désagréables comme la colère, l’inquiétude ou la dépression, vulnérabilité.

L’extraversion est le trait de personnalité le plus connu. Probablement que si tu connaissais un trait de cette liste c’était l’extraversion. Même si on a tendance à confondre l’extraversion avec le contraire de la timidité, ce qu’elle n’est pas exactement. Par exemple : je ne suis pas du tout timide mais j’ai une haute dose d’introversion. Pourquoi est-ce un trait si connu ? Parce que c’est le premier qui a été découvert quand on a fait le travail de fusion des adjectifs dont je t’ai parlé. On le connaissait même 20 ans avant le début de ce travail, via d’autres travaux.

Si tu connais le MBTI, c’est pour ça qu’il est présent dans le MBTI. Car le MBTI est parti dans une autre direction, en se basant sur les travaux de Jung. Or, c’est justement Jung qui a inventé le mot extraversion.

Du coup, extraversion est probablement également le mot qui te choque le moins parmi les 4 inventés. Conscienciosité, agréabilité, névrosisme, il faut bien admettre que ça sonne bizarre. C’est parce qu’il a fallu inventer des mots pour véhiculer correctement la nuance. Par exemple, l’agréabilité (qui est une tentative de traduction d’agreeableness) mélange à la fois le concept de l’amabilité mais aussi le fait de faire passer les besoins des autres avant les siens. C’est pour ça qu’on dit pas juste amabilité. Pareil, la conscienciosité ça ressemble à la rigueur, mais ce n’est pas que ça, c’est aussi la prudence et la capacité à ne pas abandonner. Dur de trouver un mot en français qui décrit déjà ce groupe de caractéristiques.

Qu’est-ce que l’intelligence émotionnelle ?

Voilà le concept qui ressemble le plus à ce qu’on veut dire quand on parle de savoir-être. Comme je te l’ai dit, la quête de l’intelligence émotionnelle est globalement un échec. Et c’est une excellente nouvelle.

Pourquoi ? J’y viens. Mais avant…

Quand on essaie de tout lier à un seul facteur on trouve bel et bien une forme de QE. Un haut quotient émotionnel est atteint par les personnes qui obtiennent un score élevé à tous les traits de personnalité sauf le dernier.

C’est-à-dire des personnes avec : 

  • une grande ouverture aux nouvelles expérience, 
  • une grande rigueur/persévérance/prudence, 
  • une grande extraversion, 
  • une grande amabilité/sympathie/capacité de conciliation,
  • et une petite instabilité émotionnelle.

Sauf que, contrairement au QI, on ne peut pas dire que, toutes choses égales par ailleurs, il vaille mieux avoir un grand QE qu’un petit QE. En effet, la personnalité que je viens de décrire est une personnalité socialement désirable, c’est vrai. Mais ça s’arrête là.

Il en ressort que l’intelligence émotionnelle est la capacité à se faire apprécier par les autres. Mais elle ne dit rien de l’efficacité au travail. C’est parfois même l’inverse. On observe par exemple que les individus avec une petite agréabilité ont tendance à mieux réussir professionnellement que les autres. Pourquoi ? Parce que les personnes les plus conciliantes sont aussi celles qui vont le moins négocier leur salaire et leur position.

On ne peut donc pas dire qu’il vaut mieux avoir une grande agréabilité : ça dépend des situations et des contextes. C’est vrai pour tous les traits : il n’existe pas de bonne ou de mauvaise personnalité.

Voilà pourquoi je disais que l’échec des sciences sociales à trouver un véritable quotient émotionnel est une bonne nouvelle. Ça veut dire que chaque personnalité a une valeur ajoutée dans le bon contexte.

On veut une adéquation entre la personnalité et notre culture d’entreprise

La question est donc quel est mon contexte ? Donc, à part si je cherche à recruter pour un métier où il faut savoir se faire socialement apprécier (un commercial par exemple), je ne vais pas nécessairement vouloir quelqu’un qui a une grande intelligence émotionnelle.

Au final, l’intelligence émotionnelle est le piège que l’on devrait éviter. Effectivement, les personnes avec une grande intelligence émotionnelle (donc extraverties, conciliantes, ouvertes, peu sensibles au stress et ponctuelles) feront spontanément une meilleure impression dans un entretien.

Mais est-ce cela que l’on recherche ? Des personnes douées en entretien ?

On devrait, au contraire, en permanence chercher à ne pas être aspiré·e par l’intelligence émotionnelle en entretien.

Voilà pourquoi je pense que ce n’est pas qu’une question de terminologie. Le concept du savoir-être véhicule des notions contre-productives pour le recrutement. Quand on parle de savoir-être ou d’intelligence émotionnelle, on invisibilise la notion d’adéquation.

Il n’existe pas de situation où savoir lire vite (qui est une composante de ce que mesure le QI) est un désavantage. Il vaut mieux savoir lire vite que savoir lire lentement, en toutes circonstances. C’est pour ça qu’on utilise le mot “intelligence” (avec tous ses défauts). Mais on pourrait dire, de manière moins polémique que c’est une “compétence”. En revanche, il existe des cas où il vaut mieux être une personne introvertie qu’extravertie. L’extraversion n’est donc pas une compétence. L’introversion non plus. Ce sont simplement des traits de personnalité.

Je le vois dans le métier même du recrutement. Souvent, les personnes très extraverties sont allergiques au sourcing. Ou plutôt l’inverse : les personnes allergiques au sourcing sont souvent très extraverties. Alors qu’une personne très introvertie aura du mal à faire des entretiens.

Attention, je généralise par souci de pédagogie. Il ne s’agit pas ici de faire de la psychologie de comptoir : il faudrait tester mon observation. C’est pas parce que je le vois que c’est vrai.

De même, on pourrait croire que la résistance au stress (l’inverse du névrosisme) est toujours un atout. Je peux attester que non. Je fais partie des personnes les plus résistantes au stress selon les tests. Et bien je vois en quoi ça me porte préjudice : je commande toujours mes billets de train et d’avion la veille, même pour des voyages prévus depuis des mois. Je ne pourrais pas travailler dans l’événementiel : je suis trop détendu. Bien entendu, c’est un avantage dans mon métier où je dois donner des conférences ou publier un article que tout le monde va lire.

Autre exemple : l’agréabilité. C’est un atout dans plein de situations mais ça sera un préjudice dans un métier comme celui d’acheteur. Une personne trop conciliante aura du mal à tenir la posture de négociation musclée que ça demande. Et, on l’a déjà dit, les personnes les plus conciliantes sont aussi les personnes les moins bien payées.

Ce qu’on veut c’est donc une adéquation entre les traits de personnalité et ma culture d’entreprise. Ce qui compte ce n’est pas d’avoir quelqu’un qui me fait passer un bon moment en entretien car il a une personnalité socialement désirable. Ce qui compte c’est de faire l’inventaire des traits qui sont directement liés à la performance, car inscrits dans notre culture.

Que je sois introverti n’est pas le problème des candidat·es. La question que je me pose en entretien c’est faut-il être une personne introvertie ou extravertie pour travailler chez LEDR ? La réponse est ni l’un ni l’autre. Donc je me fais violence pour ne pas tenir compte de ce trait pendant l’entretien culturel.

En revanche, on constate que les individus qui s’épanouissent chez nous sont du côté de la grande ouverture aux nouvelles expériences. Ça se comprend assez facilement puisque nous sommes un organisme de formation. On a donc une culture qui valorise l’abstraction, l’ouverture aux nouveaux concepts, etc. On va donc (dans notre cas très précis) ignorer l’extraversion mais prêter attention à l’ouverture.

On veut une adéquation entre la personnalité et le métier

Rebelote avec le métier. Il y a la culture de l’entreprise et la culture du métier. Par exemple, pour réussir chez LEDR il n’y a pas de modèle au niveau de l’extraversion/introversion. En revanche, les commerciaux et commerciales qui s’épanouissent chez nous sont toujours des personnes extraverties.

Ça vient de la culture du métier, de sa nature même.

Il faut donc concilier non seulement la culture de l’entreprise mais également celle de l’équipe et celle du métier.

On veut une adéquation entre la personnalité et l’équipe visée

Rerebelote avec l’équipe qui sera intégrée. Parfois j’entends mon critère c’est aussi est-ce que je pourrais prendre une bière avec la personne.

Je comprends ce qu’on veut dire par là. Mais le problème c’est que la personne ne rejoint pas l’équipe de recrutement, elle rejoint l’équipe du manager qui a mandaté le recrutement. Donc ce qui compte c’est que le candidat et le manager puissent prendre une bière ensemble. Et d’ailleurs, parfois ce n’est pas une bière. Cf ce qu’on a dit sur l’introversion. Accessoirement, tout le monde ne boit pas de la bière, ni même d’alcool.

Les critères excluants arrivent plus vite qu’on ne le pense, même dans des phrases anodines. C’est plus qu’un détail : je me suis souvent senti mal à l’aise dans des moments professionnels où on me poussait à consommer de l’alcool pour me socialiser. Alors que je veux en boire le moins possible dans ma vie.

Stop au mépris

Au final, l’expression de savoir-être est un brin méprisante. En effet, contrairement à l’intelligence, je n’ai jamais entendu quelqu’un me dire qu’il manquait de savoir-être.

J’ai l’impression que les gens qui manquent de savoir-être sont toujours les autres. Ce qui fait que ces autres aussi pensent qu’on manque de savoir-être. Ça va toujours à double sens. Ça n’a donc aucun sens.

Mais maintenant tu comprends pourquoi : c’est parce qu’il n’y a pas de savoir-être, il n’y a que des adéquations de personnalité. Donc, si tu ne te sens pas en adéquation avec une personnalité, elle ne sentira pas en adéquation avec toi non plus. Aucun de vous deux n’est une personne supérieure : vos personnalités sont juste incompatibles.

Il n’y a pas une personne bête émotionnellement et une autre intelligente émotionnellement. Juste deux personnalités opposées.

L’accepter permet d’adopter une posture plus détendue en entretien. On a tout à y gagner. Le fait de penser sincèrement qu’il n’y a pas de personnalité supérieure à une autre va mettre les candidat·es plus à l’aise. Les gens le sentent quand vous pensez savoir-être. C’est d’ailleurs une des raisons pour lesquelles ils mentent en entretien.

On se plaint souvent des gens qui mentent en entretien mais on se pose trop peu la question de pourquoi ils mentent. Au final, dans le reste de leur vie, les gens mentent beaucoup moins. Alors pourquoi le font-ils autant sur leur CV ou en entretien ? 

J’ai plusieurs amies qui ont trafiqué leur fiches de paie pour obtenir un appartement. Pourquoi ? Parce qu’elles ne respectent pas le processus de décision. Si elles avaient confiance dans le processus elles ne le feraient pas. Elles sont intimement convaincues qu’elles sont capables de payer le loyer et que ce sont les critères qui sont stupides. Elles trichent parce qu’elles considèrent que le jeu est injuste.

Par exemple, je connais quelqu’un qui gagne beaucoup d’argent mais en freelance. Elle n’avait donc pas de fiche de paie à présenter et on lui refusait des appartements car il fallait trois bilans comptables. Elle a alors décidé de trafiquer une fiche de paie.

Des exemples comme ça, j’en ai à foison. Et à chaque fois c’est la même raison de fond : la personne trouve le processus injuste.

C’est pareil avec le recrutement. Si tu demandes aux gens quels sont leur trois défauts et que tu penses qu’il y a un savoir-être, des défauts humainement pire que d’autres (et donc une bonne réponse à la question), ils vont le sentir. Ils vont trouver ça injuste car ce n’est pas lié avec leur performance dans le job. Ils vont donc te mentir.

Si tu crois fondamentalement que le savoir-être n’existe pas et que tu cherches à évaluer l’adéquation entre la personnalité du candidat et la culture de l’entreprise, le candidat aura tout de suite moins de raisons de mentir. En effet, il sentira qu’on ne remet pas en question ce qu’il est en tant qu’humain.

Sous-entendre à quelqu’un qu’il serait dépossédé d’un truc qui s’appelle le savoir-être et qui fait de meilleurs humains professionnels, c’est violent. Dans ce cas on remet en question la personne en tant qu’humain, dans l’absolu. Ce n’est pas pareil que de lui sous-entendre qu’il y a des personnalités qui s’entendent bien professionnellement et d’autres non. Dans ce cas, un refus en entretien ne dit rien de sa valeur humaine absolue. 

Pense vraiment qualité des défauts et défauts des qualité

C’est devenu cliché tellement on répète ce conseil en recherche d’emploi. On dit aux candidat·es de préparer les qualités de leurs défauts pour l’entretien.

C’est toujours fait de manière superficielle car le but est de contourner la question superficielle des 3 défauts. Mais ne pouvons-nous pas le repenser de manière plus profonde ?

De comprendre qu’une grande introversion ce n’est ni un défaut, ni une qualité. Encore moins une compétence. L’introversion vient avec des inconvénients dans certains contextes : la timidité quand on doit réseauter, par exemple. Mais elle vient aussi avec des avantages dans d’autres : j’étais bien content d’avoir suffisamment d’introversion pour vivre confortablement le confinement par exemple.

Bien sûr qu’une haute conscienciosité vient avec des avantages : la rigueur, par exemple. Mais ça peut aussi se transformer en inconvénient quand il s’agit d’être capable d’abandonner une idée qui ne fonctionne pas.

Certes, une ouverture aux nouvelles expérience et à l’abstraction apporte son lot d’avantages. Pour enseigner il vaut mieux aimer l’abstraction. Mais ça vient aussi avec un lot d’inconvénients : certains métiers demandent d’appliquer une méthode sans chercher à trouver d’autres moyens.

L’agréabilité est un des traits sur lequel je fais le plus petit score : j’ai tendance à faire passer mes intérêts en premier. Et je suis plutôt impoli. Parfois ça me porte préjudice : on a perdu des clients parce que je n’ai pas su me retenir de dire brutalement ce que je pensais. Mais parfois ça tourne à mon avantage : parce que je ne me retiens pas de dire ce que je pense et que ça débloque des situations.

Le Névrosisme vient avec des inconvénients évidents : être davantage soumis aux émotions négatives et au stress. Mais parmi les gens qui m’ont le plus impressionné professionnellement dans ma vie, il y a une personne qui a probablement un haut score de névrosisme. C’est justement ce qui lui permet de performer dans un métier d’événementiel où il faut prévoir tous les imprévus et délivrer des prestations où la préparation de plusieurs mois se joue sur une seule journée. À l’inverse, être moins sensible aux émotions négatives m’a souvent permis d’être le point de repère d’un groupe dans des moments de crise ou de panique.

Au risque de me répéter : il n’y a pas de savoir-être, au sens où il n’y a pas de compétences de personnalité, il n’y a pas de soft skills. Un trait de personnalité peut être un avantage dans un contexte et un inconvénients dans un autre.

Alors que si c’était des skills, des compétences, ça devrait être neutre ou positif. Par exemple, maîtriser Excel est une compétence. Ce n’est jamais un inconvénient. Au pire, ça ne sert à rien dans un métier.

Mais ça ne peut pas avoir d’incidence négative. Parce que justement c’est une compétence.

La personnalité ne se divise donc pas en compétence mais bien en traits de personnalité.

Il faut d’abord l’avoir en tête avant d’essayer d’évaluer une personnalité pour voir si elle est en adéquation avec notre culture. Une fois qu’on est solide là-dessus, on peut commencer à se demander non pas comment évaluer le savoir-être mais bien comment évaluer la triple adéquation entre une personnalité et notre culture d’entreprise, celle du métier et celle de l’équipe. Mais c’est encore un autre sujet …

Tu veux faire le big 5 sur toi même, voici un lien rapide qui propose un test en 30 questions et un débrief détaillé (seul défaut : c’est en anglais).