"Génération Y" est une insulte inventée par des consultants
Le concept de génération Y est une esbroufe de consultant. C’est une intuition que j’avais depuis un moment. Et j’ai eu la chance (ou la malchance) d’être obligé d’aller fouiller en profondeur le concept pour l’exprimer en format conférence pour l’événement La Claque.
Je me suis rendu compte de deux choses en faisant ce travail de documentation et d’exploration : premièrement que c’est bien un concept vide, deuxièmement que nous sommes énormément à avoir une réaction allergique.
Et c’était une suprise pour moi : quasiment à chaque fois que j’ai dit que je préparais une conférence sur la génération Y, j’ai vu des regards s’assombrir et des pulsions meurtrières monter. Certaines personnes sont même parties au quart de tour : « Mais c’est du pipeau ce truc ! Pas ENCORE une conférence sur la Génération Y ».
J’étais obligé de rajouter « non mais je vais justement dire que c’est du pipeau ». Ce qui soulageait immédiatement mes interlocuteurs qui continuaient quasiment toujours immédiatement en disant « ouf j’ai cru que t’allais faire comme la fille là…comment elle s’appelle déjà ? ». Mais on y reviendra.
Qui nous parle de la génération Y ?
Avez-vous remarqué que les gens qui vous vendent le concept de génération Y, ne font jamais partie de la génération Y ? Rien que ce fait devrait nous inciter à une extrême méfiance. Comme le chante Youssoupha : « tout ce qui est fait pour nous mais sans nous est fait contre nous ».
Même avec toute la bienveillance du monde, confisquer la parole aux personnes que vous prétendez décrire ne peut que donner une catastrophe.
On en arrive alors à des aberrations, comme cette vidéo censée illustrer la génération Y en entreprise. Avec un prétendu jeune qui dit des phrases comme « j’ai trouvé avec la fonction GPS de mon iPhone »
Ou bien, quand on lui propose une plaquette : « vous n’auriez pas un CD plutôt ? ».
Un CD ? Vraiment ? Aucun jeune sur terre n’a jamais parlé comme ça.
D’ailleurs l’acteur le reconnaît lui-même dans une interview : « on essaie d’évoquer le conflit entre génération X et Y, d’un point de vue je pense plus de la génération d’au-dessus ».
Bon…je vous vois venir. Avant quand je disais que le sujet n’était jamais abordé par des gens de la génération Y eux-mêmes on me disait « ah oui en effet ». Depuis Octobre 2015 désormais on me répond systématiquement « mais si ! Y’a une jeune là qui a fait une conférence… ».
Voici effectivement l’exception qui confirme la règle. Et c’est probablement le coup le plus dur qui a été porté à tous ceux qui vomissent le concept. Parce que le coup est venu d’une des « nôtres », de l’intérieur. Et ceux qui connaissent l’histoire d’Anakin Skywalker (Dark Vador) savent à quel point les coups sont bien plus violents quand ils viennent d’un transfuge de son propre camp.
Là encore, je pensais être le seul. Mais en discutant autour de moi pour préparer le sujet je me suis rendu compte que la seule prononciation de son nom déclenchait des réactions violentes et hostiles parmi ceux qui rejettent le concept. Désormais, par mesure de sécurité, je l’appelle Celle-dont-on-ne-doit-pas-prononcer-le-nom.
Mais celle-dont-on-ne-doit-pas-prononcer-le-nom a beau faire partie de la prétendue génération Y, elle a quand même un point commun avec les autres : c’est pour elle un business.
J’ai perdu la source mais j’étais tombé sur un article très juste qui disait en substance : « la prochaine fois qu’on vous agitera la génération Y demandez-vous qui a intérêt à exagérer le fossé entre la génération Y et les précédentes ? C’est marrant de voir que les gens qui ont un discours pointant l’étendue de la différence de la génération Y ne sont pas des gens qui vivent avec elle mais des gens qui gagnent leur vie sur son dos ».
Qu’est-ce que la génération Y ?
Il y a un débat sur les dates de délimitation de cette génération. Deux intervalles s’affrontent : 1979 – 1995 et 1982 – 2004. Vous vous rendez compte de ce que ça dit en termes de rigeur scientifique ? On est incapable de se mettre d’accord sur la base même du concept. Passons.
L’autre chose sur laquelle tout le monde semble d’accord c’est que le Y est là pour succéder au X de la génération précédente. Et que le consultant qui l’a inventé s’est dit que c’était un super jeu de mot avec le « why ». Ce qui en ferait une génération pourquoi. Vous remarquez à quel point l’alphabet a été bien fait n’empêche !
On s’est donc dit qu’on allait définir une génération par sa tendance à dire pourquoi, à remettre tout en question. Une sorte de génération de doute radical et de scepticisme permanent. Ce qui fait de Descartes le représentant le plus éminent de cette génération, non ?
On nage déjà en plein ridicule. On croirait de l’astrologie. Mais laissons les consultants se dépêtrer avec le monstre qu’ils ont créé. Si je reviens à notre quotidien et aux articles que l’on voit passer, une des autres définitions de la génération Y c’est qu’elle est un problème, un défi pour les entreprises.
Au final ce n’est pas la littérature sociologique qui s’intéresse le plus au concept mais bien la littérature managériale. Je suis tombé sur un mémoire passionnant qui essaie justement d’étudier le sujet avec une rigeur sociologique et qui conclut comme ceci :
« Paradoxalement, l’abondante littérature qui s’intéresse à la «Génération Y» ne provient pas de la communauté académique. (…)
Aucune des 98 recherches référencées et reconnues par le CNRS ne s’est intéressée aux comportements des membres de la « génération Y » dans l’entreprise : il s’agit de recherches en marketing qui s’intéressent aux comportements des jeunes consommateurs. (…)
Les comportements au travail de la «génération Y» demeurent donc, à notre connaissance, des récits de managers ou des recommandations de consultants. (…)
Ils montrent que l’influence de l’appartenance générationnelle est moindre que celle de l’appartenance au groupe des cadres. L’effet de la socialisation est plus puissant que l’effet générationnel. »
L’auteur touche du doigt un point fondamental : la dimension marketing du concept. La génération Y est un idéal-type marketing, une persona. Comme l’est la ménagère de moins de 50 ans. Et nous devrions traiter ce concept comme l’on traitre celui de ménagère de moins de 50 ans. L’utilité pour segmenter des campagnes marketing est évident (on parle d’un individu de moins de 35 ans qui habite en ville, se déplace en transport collectif, a un diplôme du supérieur et est célibataire au sens du code civil). Mais ça s’arrête là.
Le concept de génération Y est une somme de clichés et de stéréotypes réducteurs. Parmi eux, j’en ai vu 3 revenir en permanence : le problème avec l’autorité, l’individualisme et le refus du travail.
Vous les avez déjà entendu. Peut-être même que vous avez l’impression qu’ils sont vrais et caractérisent bien cette génération, par opposition aux précédentes ? Je vous propose d’aller le vérifier. Nous allons comparer la génération Y aux deux générations d’avant. Mais attention, nous n’allons pas comparer les Y de 2016 aux X et aux Baby-boomers de 2016. Nous allons comparer les Y de 2016 aux X de 1993 et aux baby-boomers de 1973. C’est-à-dire au moment où les X et les Baby-boomers avaient l’âge de la génération Y de maintenant.
Baby-boomers = Génération Y
On retiendra pour les Baby-boomers l’intervalle de naissance 1943-1960. Pour vous aider à visualiser : c’est la génération de Sarkozy, Conh-Bendit et Balavoine. Ceux qui ont entre 56 et 73 ans au moment où j’écris.
Avaient-ils un problème avec l’autorité ? Manifestement oui ! Et dans une ampleur bien plus grande que la génération Y. C’est la génération qui était dans la rue en mai 68.
C’est la génération qui criait « état fasciste, état policier », qui envoyait des pavés sur les policiers et qui scandait qu’il est « interdit d’interdire ». On peut difficilement faire plus en termes de rapport difficile à l’autorité.
Avaient-ils un problème avec l’individualisme ? Manifestment oui ! En 1973, le New-York magazine les appelaient : la génération moi je.
En soulignant que cette génération était en quête de sens et d’épanouissement. Tiens, ça ne vous rappelle rien ? La génération en quête de sens au travail ?
En France, on les a appelé la Bof génération. Des jeunes qui se distinguait par un désengagement de la politique (tiens, tiens…), une idéologie anti-autoritaire et une attitude do it your self (tiens, tiens…ça aussi ça devrait vous dire quelque chose).
Avaient-ils un problème de refus du travail ? Manifestement oui ! On parle de la génération qui a vu émerger d’elle…les hippies ! Peut-on faire plus génération Y que les hippies ? Il me semble qu’une génération qui a eu le mouvement hippie et mai 68 devrait s’abstenir du moindre commentaire sur la génération Y.
Certains d’entre vous me diront : oui mais on le savait déjà. Puisque la génération Y a failli s’appeler la génération echo à cause de sa ressemblance avec les Baby-boomers. Dont acte. Allons désormais du côté de la génération X.
Génération X = Génération Y
On retiendra pour la génération X l’intervalle de naissance 1961-1981. Pour vous aider à visualiser : c’est la génération de Jamel Debbouze, Céline Dion et Marine Le Pen. Ceux qui ont entre 35 et 55 ans au moment où j’écris.
Avaient-ils un problème avec l’autorité, un problème d’invidualisme et un problème de refus du travail ? Manifestement oui ! On les a appelé la slacker generation. Ce qu’on peut traduire en français par « génération feignasse ».
Mieux encore, un article de 1993 les appelait la génération pleurnicharde dans des termes qui vous rappelleront forcément quelque chose :
« Ils ont tout eu. C’est le problème de la Génération X. On a une génération dont tous les besoins ont été comblé depuis la naissance. Maintenant qu’ils font face à l’âge adulte, ils s’attendent encore à avoir des cadeaux. (…)
Ils n’ont même pas eu besoin d’apprendre à s’amuser car Maman et Papa étaient toujours là pour les alimenter de divertissement, d’une activité à l’autre. (…)
On devrait les appeler la Génération pleurnicharde (…)
J’invite ces pleurnichards à renoncer à leurs valeurs de génération télévision et à accepter la dure et froide réalité. »
Tout est dit. Vous avez face à vous une oeuvre d’art en termes de clichés sur la jeunesse. Certes, on parlait de génération télévision plutôt que de génération smartphone. Et à la place de génération Instagram on parlait de génération caméscope vidéo.
Cerise sur le gâteau : le X de génération X se réfère (entre autres) au refus de l’étiquette. C’est le même X qu’en mathématiques : la variable inconnue. Car c’est une génération dont on disait qu’elle refusait qu’on la définisse.
Quelle ironie…comment quelqu’un qui faisait partie de cette jeunessse refusant les définitions simplistes et les etiquettes peut désormais compter des gens qui font la même chose à la génération Y ?
Les jeunes ont toujours existé
En vérité, c’est bien la jeunesse qui est caractéristique. Davantage que la génération. 90% des caractéristiques stéréotypées qu’on attribue à la génération Y sont en fait des caractéristiques des gens de moins de 35 ans, peu importe les époques.
Les jeunes n’écoutent pas leurs parents et ça ne date pas d’hier. En témoigne toutes les citations antiques sur le sujet. Que ce soit celle, fameuse, attribuée à Socrate : « Nos jeunes aiment le luxe, ont de mauvaises manières, se moquent de l’autorité et n’ont aucun respect pour l’âge. À notre époque, les enfants sont des tyrans. » ou une autre attribuée à un prêtre égyptien 1000 ans avant Jésus-Christ : « Notre monde a atteint un stade critique. Les enfants n’écoutent plus leurs parents. La fin du monde ne peut pas être loin. »
C’est un thème millénaire bien plus vieux que les vieux qui l’utilisent encore. Au même titre, les jeunes ont une tendance à l’individualisme et au refus du travail. Remarquez que ça change souvent avec la paternité et la maternité. Quand on s’occupe d’un enfant on est soudainement moins porté à l’indivualisme et au refus du travail. De la même manière, les jeunes ont une tendance naturelle à la recherche de la réalisation de soi. Une fois que vous êtes vieux et que vous vous êtes déjà réalisé c’est plus compliqué.
Dans les « jeunes d’aujourd’hui » rageurs, on accentue sur le « aujourd’hui ». Alors qu’en vrai le mot important c’est « jeune ».
Adam Conover l’exprime de manière magistrale dans sa sublime conférence Millenials don’t exist.
« Le narcissime, par exemple, fait partie du processus naturel du développement de la personnalité. On est de moins en moins narcissique avec l’âge. Donc reprocher le narcissime à la génération Y ce serait comme de se plaindre en disant de bébés : cette génération ne veut faire ses besoins que dans des couches, ils ne veulent pas aller aux toilettes ! »
Au final, on est toujours le Y de quelqu’un. Les jeunes sont ce qu’ils sont et certains vieux adorent le leur reprocher. Et c’est un cycle interminable : les mêmes jeunes quand ils deviennent vieux sont tentés de faire la même chose aux suivants. Parce qu’ils auront oublié.
J’ai la (mal)chance d’avoir gardé énormément de choses que j’ai écrite quand j’avais 17 ans. Et c’est une souffrance énorme de les relire à 27 ans. J’ai l’impression de lire…un jeune de 17 ans de 2016. Ce n’est pas Snapchat mais un Skyblog, ce n’est pas Whatsapp mais MSN et pourtant les schémas sont identiques.
« Génération Y » est une insulte
Au fond, le concept de génération Y n’est rien d’autre qu’une insulte. Bien sûr qu’il existe des gens qui sont nés entre 1982 et 2004. Bien sûr qu’ils forment une génération démographique. Mais le Y que l’on rajoute est là pour pointer du doigt. Ce sont presque toujours les autres qui vous appellent Y.
Avant celle-dont-on-ne-doit-pas-prononcer-le-nom je n’avais jamais vu quelqu’un monter sur scène pour dire « je suis un Y ». C’est comme le fameux « issu de la diversité ». Personne ne se désigne soi-même comme cela.
Certes, certains jeunes ont tellement été matraqués par la télévision qu’ils finissent par adhérer au concept. Vous avez même une étude où les jeunes se décrivent eux-mêmes comme fainéants. C’est d’ailleurs toujours la même que les consultants vous ressortent pour vous dire « tu vois, on a même pas besoin de laisser la génération Y parler, ils sont d’accord avec vous ». C’est un peu court : vu la boulimie médiatique il n’est pas étonnant que certaines personnes finissent par intégrer les stéréotypes qu’on leur colle. D’autant plus que vous n’avez pas de message contradictoire dans les médias. Même moi, j’ai longtemps cru au concept de génération Y.
Mais je vous assure que c’est bien une insulte. J’ai essayé de réunir des pièces à conviction pour cette enquête.
Pièce à conviction n°1 : on ne dit pas les vieux
C’est intéressant de voir que l’on dit spontanément « les jeunes » mais qu’on se permet beaucoup moins spontanément de dire « les vieux ». Quand je remplace le mot « jeune » par le mot « vieux » dans les articles j’arrive à des choses qui nous choquent comme : « Comment manager les vieux en entreprise », « comment répondre aux attentes des vieux ? » ou encore « L’explosion du nombre de vieux en entreprise est un défi pour les managers ».
Il suffit donc de remplacer jeune par vieux et on ressent d’un coup le côté insultant.
Pièce à conviction n°2 : l’obsession du management
Parmi les gens avec qui j’ai discuté pendant la préparation de ce sujet, quelqu’un m’a fait une remarque très juste. Après s’être insurgé violemment contre Celle-dont-on-ne-doit-pas-prononcer-le-nom il m’a dit : « En plus les sujets c’est toujours comment MANAGER la génération Y. C’est toujours la comprendre dans le but de la manager ».
Et effectivement, la littérature managériale aborde le sujet dans cet unique but de mater ces sauvageons que l’on ne comprend pas. Voici d’ailleurs un commentaire que j’ai trouvé sous un des nombreux articles de management :
« Bonjour,
Y en à marre de la génération Y !
Mettez les au boulot ! Arrêtez de nous dire comment s’adapter à ces incompétents ! Transformez les ! (…)
Tout leur est du il faut que le patron soit sympa , pas dirigiste, ne leurs demandent pas de résultats qu’ils puissent se distraire au boulot conserver leur RSS pendant les heures de travail ! Mais ou sont leurs devoirs ? (…)
Je dirige une SSII très innovante, rembauche 29 personne en 2011, du coup je cherche soit des quadra soit des Roumains pas question de me retrouver encore avec des petits français de 25 ans: sans savoir faire, sans ambitions, et déloyals (sic) ! »
C’est bien cette idée de manager au sens le plus militaire du terme que l’on ressent ici.
Pièce à conviction n°3 : on ne se le permettrait pas avec d’autres catégories
Vous imaginez si on avait les mêmes articles qui disaient :
« Comment manager les arabes en entreprise ? », « Comment manager les noirs en entreprise ? », ou encore « Cinq conseils pour manager au mieux les athées ».
Je vous rassure : un affreux doute m’a saisi en l’écrivant et j’ai donc été vérifier. Ce genre d’article idiot n’existe pas. Ce que je viens de faire est caricatural ? Bien sûr. Mais la caricature est une des rares armes qui permet de démasquer la langue de bois. Et la génération Y est un mot de langue de bois. Il couvre une violence en l’adoussisant, en la déguisant en quelque chose de respectable et scientifique.
Pièce à conviction n°4 : les concepts marketing sont insultants quand on les sort de leur cadre
Vous vous rappelez de la ménagère de moins de 50 ans ? Que les gens au marketing parlent comme ça pour segmenter leurs actions n’est pas un problème en soi. Mais maintenant sortons le concept de son cadre marketing. Imaginez que vous êtes invités à un repas par un couple d’amis. Et là vous dites à votre amie : « c’était vraiment bien, tu es une excellente ménagère de moins de 50 ans ». Pensez-vous qu’elle le prendra comme un compliment ? Quelle serait sa réaction ?
Mais…comment une insulte peut-elle avoir tant d’écho ? C’est la question que m’a posé Laurent pendant que je préparais le sujet.
Pourquoi l’insulte séduit-elle autant ?
C’est une question de peur de la différence, de peur de ce qu’on ne comprend pas. C’est Maître Yoda qui le dit le mieux :
« La peur est le chemin vers le côté obscur, la peur mène à la colère, la colère mène à la haine et la haine mène au côté obscur de la force ».
Vous trouvez que le mot haine est trop fort ? Je vous propose de lire des extraits d’un article qui s’appelle « Faut-il être plus directif avec la génération Y ? ».
« Ces individus qui dans la rue, au travail, au sein du couple ou en famille agissent en fonction de leur seul bon vouloir grignotent tous les liens sociaux. Le sentiment de l’autre leur est quasi inconnu, tout investi qu’ils sont dans une quête inlassable du plaisir immédiat. (…)
Au final, ils manifestent une volonté de toute-puissance qui gomme tout principe de réalité. Résultat : refus de se remettre en cause et quête permanente d’une solution miracle pour trouver une réalité confortable. (…)
Leur demande incessante de bonheur se confond avec l’immédiateté de leur volonté de jouissance. Certes on les rencontre à tous âges, mais s’ils se retrouvent majoritaires dans la génération Y, c’est qu’ils ont été élevés dans des familles qui leur ont laissé, enfants, prendre le pouvoir. (…)
En faisant de leurs désirs des ordres, leurs parents les ont amené, malgré eux, à se la jouer perso en s’impliquant le moins possible. Surconsommation, surstimulation, survalorisation, surprotection et surcommunication de l’enfant, ce que Didier Pleux nomme les « 5 S », aurait petit à petit contribué à faire émerger des asociaux, peu heureux pour autant…Dont la pathologie se résume à la difficulté d’accepter la réalité, la sienne et celle des autres. (…)
Toute sa vie se construisant autour du « j’ai envie, je fais » ou « je n’ai pas envie, je ne fais pas », il est réfractaire à toute « verticalité », à toute forme d’autorité. « S’il est juste de contester certains autoritarismes, l’adulte roi, lui, n’est pas un « rebelle » au sens noble, il est réfractaire à ceux qui savent mieux que lui, à ceux qui peuvent le faire réfléchir, voire l’infléchir. »
Si ce n’est pas de la haine je ne sais pas ce que c’est. On retrouve tous les clichés : le problème avec l’autorité, l’individualisme et le refus d’accepter la réalité. Le même type de violence s’est déchaîné à la sortie de Pokémon Go.
Quand j’étais petit on nous reprochait de rester enfermé à jouer à des jeux vidéos. Désormais on reproche aux jeux vidéos de faire sortir les gens. Allez comprendre ! C’est d’ailleurs un des effets secondaires que de penser le monde avec une case insultante. Tout va dans votre sens, tout le temps. Et l’insulte a été massive face à Pokémon Go. Je vous ai extraits deux commentaires sur Facebook mais il y en avait des milliers du type rien que sur une seule publication :
« Cette jeunesse préfère courir après des trucs virtuels plutôt que de chercher des jobs d’été »
« On peut être fiers de faire des génération de décérébrés »
Au fond du fond, on a presque l’impression que ce que les gens insultants veulent c’est dire « on devrait enfermer les jeunes jusqu’à ce qu’ils soient vieux » (merci Mohamed pour cette phrase).
Au final, cette tentation est naturelle et relève d’un processus psychologique simple et très bien saisi par Douglas Adams :
« Tout ce qui existe dans le monde à votre naissance est normal, ordinaire et fait partie intégrante du fonctionnement du monde. Tout ce qui est inventé entre vos 15 ans et vos 35 ans est nouveau, génial, révolutionnaire et vous servira dans votre vie professionnelle. Tout ce qui est inventé après vos 35 ans est contre l’ordre naturel des choses. »
Ou par George Orwell :
« Chaque génération se croit plus intelligente que la précédente et plus sage que la suivante. »
Quand on entend parler certaines personnes (j’insiste sur le certaines) on a l’impression qu’elles ont connu un âge d’or où les gens se tenaient par la main en chantant et en dialoguant dans les transports publics. Que sans les smartphones, les gens se parlaient dans les bus et les métros. Alors qu’en fait ils ont plutôt connu ça :
Mais on a tous une tendance à la nostalgie. Cette nostalgie qui rend notre mémoire sélective. Fary le résume bien :
« Non ce n’était pas mieux avant, c’est vous qui n’étiez pas vieux avant ».
Par quoi remplacer le concept de Génération Y ?
Alors, après avoir détruit ce concept de génération Y, avec quoi allons nous rester ? Peut-on remplacer le concept par quelque chose de plus pertinent ?
Les digital natives ? Evidemment pas. A-t-on jamais parlé d’eletrical natives à l’invention de l’électricité courante ?
La culture Y alors ? J’ai beaucoup entendu cette arnaque. Et elle émerge de plus en plus. Par pitié non. Ne nous faîtes pas ça. Ce n’est pas avec une culbute sémantique qu’on règle le problème de l’insulte. Car au final c’est exactement le même concept. Voire pire puisqu’on part de quelque chose qui était déjà vague pour dire « bon…pour que ça fonctionne tout le temps on a qu’à dire que les exceptions à la règle sont en fait des X qui ont une culture Y ou des Y qui n’ont pas la culture Y». Vous voyez à quel point c’est vicieux ? Au lieu de se dire que le concept ne fonctionne pas et ne caractérise pas une génération on dit : tous les contre-exemple sont en fait des preuves. Tordu et imparable. Faites très attention, c’est le genre d’arnaque intellectuelle qui est extrêmement séduisante car c’est une pensée magique. Si vous tombez dans ce côté obscur il est probable que vous n’en reveniez jamais.
J’ai également entendu parler d’époque Y. Et là…je ne sais pas quoi vous dire. Pourquoi faire autant d’effort pour conserver ce Y fumeux ? Pourquoi pas tout simplement « époque » ?
Malheureusement, ce qui est en train de remplacer le concept de génération Y…c’est le concept de génération Z. Comme les prétendus Y commencent à devenir vieux les consultants se rabattent sur la génération suivante. Avec des propos toujours aussi vagues et stéréotypés :
« Le web est pour la génération Z à la fois l’endroit où ils socialisent, jouent, font leurs achats, partent à la découverte du monde, mais aussi apprennent. Internet est donc une extension d’eux-même et ils vont percevoir tout matériel technologique désuet qui leur ralentirait l’accès à l’information comme une amputation d’eux-même.
La génération Z s’attend à une ordinateur et un smartphone dernier cri… Si vous leur proposez de travailler sur Windows XP avec un ordinateur qui a plus de 10 ans, vous avez 99% de chances de les voir s’enfuir en courant.
« Quoi, Facebook est interdit au travail ? » N’imaginez même pas interdire l’accès aux réseaux sociaux à la génération Z, ils vont d’abord se moquer de vous à gorge déployée et puis partir en courant. »
C’est marrant car je me retrouve intégralement dans cette description alors que je ne fais pas partie de cette génération. On est encore dans l’astrologie.
Je pense que vous commencez à voir où je veux en venir : si j’étais un chaman (c’est-à-dire un consultant), j’aurais remplacé le concept par un autre.
J’aurais essayé d’inventé un terme qui aurait prouvé ma finesse d’esprit. Quelque chose du type « génération smiley » ou « génération Kévin ».
Mais je ne suis pas un chaman donc je vais vous dire la vérité : la vie est trop complexe pour qu’un tel concept puisse fonctionner. Je ne dis pas qu’il n’existe pas des fractures entre les jeunes et les vieux mais en utilisant le concept de génération Y vous les aggravez. Si vous voulez comprendre quelqu’un, commencez par éviter de l’appeler par une lettre. Je ne dis pas non plus que cette génération n’a pas des différences avec les précédentes. Toute génération est différente de la précédente. Ce que je dis c’est que ces différences sont trop largement surestimées. Et qu’à travers le concept de génération Y ce ne sont pas les différences intéressantes qui sont décrites mais bien une caricature insultante et réductrice.
Car cette fumisterie est en train de bloquer nos cerveaux. Le monstre ne s’arrête plus. Pendant mes recherches je suis tombé sur des articles plus délirant les uns que les autres. Rien que la semaine dernière voici les articles qui ont été produits sur le sujet :
Génération GPS (c’est bien connu les vieux n’ont pas de GPS dans leurs voitures)
Pourquoi la génération Y a moins de relations sexuelles (ça se passe de commentaires mais notez au passage qu’apparemment la génération Y de cet article c’est uniquement les 18-24 ans)
Le vin et la génération Y
À un moment je me suis demandé si je pouvais trouver un article sur la génération Y en écrivant le premier mot qui me venait à l’esprit. Ce mot a été « autruche » et…devinez quoi ? J’ai trouvé un article qui parle de génération autruche-baudruche.
Peut-être qu’il est temps d’arrêter les frais, non ? J’en suis arrivé à la conclusion que si vous avez besoin d’une case pour comprendre le monde c’est qu’il vous en manque une à vous. Le problème n’est pas la génération Y : le problème c’est les gens qui pensent que c’est un problème.
D’autant plus que le concept de génération Y est de plus en plus utilisé comme une disqualification : une infantilisation qui vous confisque la parole. La dernière fois que j’ai essayé de contredire un consultant en public, on m’a répondu : mais tu vois tu viens de remettre en question. Tu es donc bien un Y. Brillant, imparable et machiavélique. Une fois qu’on a construit un concept sur la remise en question, plus personne ne peut le remettre en question.
Du coup, plutôt que de vous proposer un substitut, je vous appelle à ne plus jamais faire partie des inquisiteurs si vous l’avez été. À ne plus pointer du doigt quelqu’un en l’appelant Y. Car nous sommes une armée, pas une génération, à contester ce concept insultant et réducteur.
Nous sommes plusieurs à penser que ce concept relève plus de l’astrologie que d’autre chose : des suites d’affirmations contradictoires (ex : la génération Y est indivualiste mais elle adore l’économie du partage).
Et nous ne revendiquons pas non plus le travers inverse. Celui de dire que cette génération va sauver le monde car elle est meilleure. Nous ne vous dirons pas que c’est une génération smartphone, instagram ou même Autruche. Ce qu’on appelle la génération Y n’est que l’expression de la jeunesse. Regardez les jeunes de 68. À qui ressemble le plus le Conh-Bendit de 1968 ? Aux jeunes de 2016 ou au Conh-Bendit de 2016 ?
Si nous voulons faire preuve de bienveillance les uns envers les autres, il va falloir commencer par se débarrasser de cette insulte, une fois pour toutes. Mais je n’ai aucun espoir naïf : les jeunes seront toujours pointés du doigt par certains vieux. C’est le cycle de la vie.