Comment distinguer jugement et évaluation dans le recrutement ?
On me demande souvent en formation comment faire pour s’assurer que les candidat·es disent la vérité en entretien ou sur leur CV. Mais on ne me demande jamais pourquoi les personnes nous mentent.
Pourquoi dans leur vie de tous les jours, les mêmes personnes mentent rarement mais que dès qu’elles sont mises dans la situation de candidater, elles commencent à mentir ?
Je pense que c’est parce que nous les jugeons et qu’elles trouvent ce jugement injuste.
“Me juge pas, j’aurai moins envie d’mentir”
Pourquoi, autour de moi, il y a tant de personnes qui ont falsifié leurs fiches de paie pour obtenir un appartement à Paris ? C’est parce que nous sommes nombreux à trouver que la règle consistant à gagner trois fois le loyer à Paris est injuste. Concrètement, pour avoir un 22m2 près de République, il me fallait gagner 2310€ nets.
Ça me paraît absurde. Ça paraît absurde à beaucoup de gens. Donc ils se mettent à mentir pour contourner l’injustice.
Quand on ressent une injustice on s’autorise à mentir.
Il en va de même dans le process de recrutement. Pourquoi autant de personnes falsifient leur CV ? C’est parce qu’elles trouvent le jeu injuste. On triche parce que les règles ne nous vont pas. Prenons l’exemple du diplôme : énormément de personnes trouvent révoltante l’idée de filtrer les candidatures sur la base du diplôme. Or, il se trouve qu’énormément d’entreprises fonctionnent comme ça. Donc les candidats trichent.
Idem en entretien. Les personnes qui candidatent sentent qu’on les juge. Quand les recruteurs demandent quels sont vos défauts, les candidats ne sont pas dupes : ils voient très bien que la réponse va être soumise à jugement. Voilà pourquoi autant de gens répondent je suis perfectionniste. Ce qui veut dire, en sous-texte : je vais te dire que mon défaut c’est que j’aime les choses sans défaut comme ça tu vas arrêter de me demander de te donner un défaut que tu vas juger.
L’hypocrisie des entretiens au feeling
J’entends par entretien au feeling un entretien où les critères de décision ne sont pas directement liés à l’emploi et/ou n’ont pas été défini au préalable.
Souvent ce type d’entretien commence par racontez-moi votre parcours. C’est une question que les gens détestent parce que quand quelqu’un n’a pas préparé son entretien il commence toujours par cette question.
Attention, je ne dis pas que tous les gens qui posent cette question improvisent. Je dis que tous les gens qui improvisent posent cette question.
À ce moment commence la machine à juger. Combien de fois ai-je entendu y’a plein de candidats qui ne sont pas pas synthétiques ! On leur demande de raconter leur parcours et ils font un grand récit.
À chaque fois, je pense bah oui… ils RACONTENT, c’est exactement la question que tu as posé. Tu leur dis de raconter…ils racontent. Mais, par diplomatie, je dis mais tu souhaitais évaluer quoi avec cette question ? L’esprit de synthèse ? C’est un critère essentiel du poste ?
Parfois, j’entends qu’on place des pièges pour vérifier la motivation. On a déjà vu pourquoi c’était une mauvaise idée. Voilà un exemple :
Quand les personnes viennent en entretien et ne se sont pas renseignées sur l’entreprise, je ne veux même plus les écouter.
Ce à quoi je réponds : mais tu lui avais DEMANDÉ d’aller lire telle ou telle page ?
On me regarde alors avec des grands yeux. Pourtant, comment peut-on savoir qu’une personne ne s’est pas renseignée si on ne lui a pas donné de destination précise ? Sans compter que beaucoup de sites web d’entreprise sont illisibles, nous sommes les premiers à le reconnaître. Comment on sait alors que la personne n’a pas essayé de se renseigner puis s’est perdue dans les méandres du site Internet ? Et même si c’était le cas, que nous apprend vraiment cette information ?
Autre exemple, on me dit j’attends un peu avant d’aller à la rencontre de la personne. Entre temps, je l’observe à l’accueil et je regarde si elle parle aux gens.
Là encore… quel est l’intérêt ? Si elle ne parle pas aux gens on déduit quoi ? Que la personne est introvertie ? Et alors ? D’ailleurs si ça se trouve elle est juste stressée par la situation. Ou intimidée.
Dernier exemple, on m’a raconté une fois que toutes les activités personnelles étaient légitimes (encore heureux) mais qu’il faut pouvoir l’assumer en entretien (ah bon ?). Par exemple si je sais qu’une personne fait des photos de charme parce que je l’ai vu sur ses réseaux, j’attends qu’elle l’assume en entretien. Si elle n’aborde pas du tout le sujet c’est louche.
Je ne sais même pas quoi répondre. Même en admettant que ceci est un critère légitime, pourquoi ce serait louche ? C’est bien normal de ne pas vouloir aborder spontanément ce genre de sujet avec une personne inconnue.
Ça me rappelle l’époque où les recruteurs et les recruteuses découvraient Facebook (donc vers 2013) et disaient non mais si une personne a des photos sur Facebook où elle est ivre en soirée ça la fout mal.
Là encore… pourquoi ?
Notre mission est d’évaluer un potentiel de performance
Nous ne devons pas manquer notre objectif de vue : prédire une performance. Tout le reste est parasite. Or, la performance est permise par une adéquation entre deux côtés.
Côté candidat·es : les connaissances, les compétences, les aptitudes, la volonté à faire les tâches et la personnalité
Côté entreprise : la culture, le job, l’équipe et le manager
À ce titre, la motivation est une variable très fragile qui devrait être abordée avec la plus grande méfiance. Ce n’est pas parce que quelqu’un est très motivé qu’il fera une bonne recrue. Inversement, une personne peut être moyennement motivée en entretien et découvrir que c’était exactement le poste qui lui fallait. D’ailleurs, on dit “motivation” mais bien souvent ce qu’on observe c’est plutôt l’enthousiasme en entretien.
Or, cet enthousiasme n’est absolument pas prédictif de l’enthousiasme futur. Je dirais même qu’un enthousiasme trop fort est suspect car, au stade de l’entretien, la personne ne peut pas savoir exactement si la culture de l’entreprise est adaptée à sa personnalité. La désillusion risque d’être grande ensuite.
De même, le lien entre les hobbys et la performance relève de l’astrologie. Quand j’entends que la présence d’une activité de sport de haut niveau sur un CV indique que la personne va être persévérante et compétitive, je m’arrache les cheveux que je n’ai plus.
Quel est le rapport ? Quelle est la suite ? Les personnes qui font de la photo ont le sens du détail et donc je peux les embaucher en tant qu’ingénieures pour vérifier l’intégrité des fusées Ariane ?
Ça ne fonctionne pas parce que les contextes sont trop différents. Déjà que l’expérience dans un métier donné prédit très peu la performance… que penser d’une expérience dans un contexte si différent ? Combien de fois ai-je vu des personnes qui étaient douées dans leur métier mais qui ont été en situation d’échec en changeant d’entreprise ?
Enfin, nous devons nous retenir de la tentation de l’effet bizutage. Ce que j’appelle l’effet bizutage c’est l’intériorisation de la galère comme étant une forme de justice. J’en ai bavé quand j’étais à sa place donc tout le monde doit en baver. Ou alors de mon temps, on faisait telle chose en entretien donc j’attends que les gens de maintenant en fasse autant.
Ce n’est pas parce que tu as vécu quelque chose qu’il faut le faire vivre aux autres : sinon on ne s’améliore jamais.
L’abus de pouvoir
Par ailleurs, il est vital de garder à l’esprit que la relation entre les recruteurs et les candidats est asymétrique. Certaines personnes sont même en état de vulnérabilité psychologique. Par conséquent, nous devons faire très attention à ne pas abuser de notre pouvoir. Or, ça arrive bien plus vite que ce que l’on pense.
Voilà pourquoi il est important de garder notre vigilance afin de ne pas favoriser les comportements reliés au désespoir. Quand j’entends c’est pas grave si mon site carrière demande plus de 18 clics pour postuler : ça triera les plus motivés ce que j’entends vraiment c’est que vous attirez surtout les personnes les plus désespérées.
La position d’asymétrie en entretien doit nous pousser à développer le plus possible notre sens de la compassion (au sens de compatir) afin de toujours garder une indulgence. C’est le sens de notre slogan : Candidat n’est pas un métier.
Nous avons en face de nous des personnes qui ne sont pas des professionnelles de l’entretien et qu’il faut donc traiter avec délicatesse car cette asymétrie peut créer de mini-traumatismes. Je ne compte pas le nombre de personnes dont la confiance a été brisée par les entretiens de recrutement. Parce qu’on les juge, parce qu’on ne leur fait pas de retour.
Ne confonds pas tes valeurs personelles avec celles de l’entreprise
Voilà la différence fondamentale entre juger et évaluer. Quand tu te fondes sur un décalage entre tes valeurs personnelles et celles de la personne en face, tu es dans le jugement. Quand tu essaies d’évaluer le décalage entre les valeurs de la personne et celles de l’entreprise, tu es dans l’évaluation. Parce que ça aura un impact direct sur son emploi.
Le fait que toi tu aimes les personnes affables, “dynamiques” et sociables ne doit pas influer sur ton évaluation. On ne te demande pas de trouver des potes, on te demande de trouver les bonnes personnes aux bons postes.
Le fait que toi tu aimes les personnes polies, attentionnées et qui nettoient spontanément leur tasse de café ne doit pas influer sur ton évaluation. On ne te demande pas de trouver des gens avec qui tu veux passer un bon moment, on te demande de trouver des gens avec qui l’équipe passera un bon moment professionnel.
Le fait que toi tu aimes les personnes qui boivent des coups, ne doit pas influer sur ton évaluation. On ne te demande pas de trouver des compagnons de soirée. Sauf si faire régulièrement des soirées est dans la culture de l’entreprise.
De manière générale, nous avons tendance à trouver du charisme aux personnes qui ont un haut quotient émotionnel, c’est-à-dire les personnes possédant une personnalité socialement désirable.
Je ne développe pas ce point car je l’ai déjà fait mais en résumé, les personnalités socialement désirables sont celles qui obtiennent un haut score sur les 4 premiers traits du Big 5 (ouverture, “discipline”/rigueur, extraversion, sympathie) et un score bas sur le dernier (sensibilité aux émotions négatives).
Nous avons tendance à avoir une meilleure opinion des personnes ayant ce cocktail de traits de personnalité. Mais ces personnes ne sont pas plus efficaces en poste : ça dépend du poste.
Ne parlons même pas du problème des différences culturelles :
Lors d’un concours dans la fonction publique, un intervieweur a noté:«Le candidat est gêné et n’aime pas interagir avec les autres.» Le candidat, originaire d’un pays étranger, a porté sa cause devant un tribunal et a fait venir un expert sur les différences interculturelles. Ce fut un débat intéressant, mais qui aurait pu être évité si l’intervieweur n’avait pas inscrit ce jugement.
Il convient donc de s’astreindre à évaluer uniquement les traits de personnalités qui sont en jeu dans la culture d’entreprise. Par exemple, chez nous le trait de personnalité de l’ouverture aux expériences et à l’abstraction est un trait fondamental. Nous sommes un organisme de formation et l’éducation est au coeur de notre mission. Nous avons donc une culture orientée autour de l’apprentissage et, par conséquent, je vais évaluer ce trait en entretien. En revanche, nous avons des personnes extraverties et des personnes introverties. Ça dépend beaucoup du métier. Sans trop de surprise les personnes occupant le poste de commercial chez nous ont tendance à être plus extraverties que celles occupant le poste de développeur. Ce n’est donc pas un trait que nous allons évaluer.
Par conséquent, pendant l’entretien on doit faire abstraction de la différence de personnalité extraversion/introversion entre soi et la personne qui postule.
L’entretien n’est pas un rencard
Tu as peut-être déjà vécu le rencard dont l’énergie ressemble à celle d’un entretien. L’une des deux personnes est mal à l’aise et commence à poser des questions comme si elle voulait uniquement valider une liste de critères. C’est très désagréable.
De la même manière, l’entretien ne devrait pas avoir l’énergie d’un rencard. Pourtant c’est très souvent le cas : c’est un moment de drague professionnelle. Ce qui compte ce n’est alors plus la compétence mais bien la capacité à séduire la personne qui fait l’entretien.
Il est plutôt sain d’avoir une petite dose de séduction professionnelle mutuelle. De donner envie aux personnes de nous rejoindre et vice-versa. Mais ça doit rester une petite dose. Malheureusement, la plupart des entretiens au feeling sont hypersensibles, comme leur nom l’indique, à la séduction. Voire ne se repose quasiment que sur ça.
Sauf que les personnes les plus douées en séduction ne sont pas nécessairement les plus douées en poste. Même dans les métiers où on pourrait croire qu’ils sont très similaires. Combien de fois j’ai été séduit en entretien par une personne qui postulait au poste de commercial pour ensuite être déçu parce qu’elle n’arrivait pas à vendre chez nous…
Voilà pourquoi nous devons limiter au minimum nos interprétations. J’irai même jusqu’à dire qu’on devrait s’interdire d’interpréter quoi que ce soit.
La plupart d’entre nous n’avons aucune formation en psychologie. Alors pourquoi nous prenons-nous pour des mentalistes ?
On ne peut pas s’empêcher de juger mais…
Ceci étant dit, je ne suis pas naïf : je sais pertinemment qu’il est impossible de s’empêcher de juger. Cependant, on peut apprendre à reconnaître le jugement et s’en détacher. De la même manière qu’on ne peut pas s’empêcher d’être en colère de temps en temps mais qu’on apprend à ne pas se laisser dominer par la colère.
Par exemple, je peux avoir du mal avec certaines personnalités et le conscientiser. Sans les pénaliser dans mon évaluation pour autant.
Imaginons que je trouve que le fait de fumer révèle un manque de discipline. C’est un jugement qui me regarde. Je peux en prendre conscience et en faire abstraction le plus possible dans l’entretien.
Surtout, en aucun cas, je ne vais chercher à légitimer mon jugement. C’est un des phénomènes les plus délétères que j’observe. Au lieu de dire nous avons un biais contre ce type de personnes on dit ces personnes méritent qu’on les pénalisent en entretien.
Imaginons que je trouve qu’une poignée de main ferme révèle une personnalité dynamique. Là encore, je dois identifier que c’est un jugement qui me regarde. J’en prends conscience, je fais abstraction le plus possible.
D’ailleurs, si je me sens mal à l’aise à partager ma pensée avec les candidats et les candidates c’est probablement qu’il s’agit d’un jugement. On se sent généralement beaucoup plus à l’aise quand on partage des faits sans interprétation ou alors qu’on cherche à évaluer une personnalité avec la conviction sincère qu’il n’existe pas de meilleure personnalité qu’une autre.
Si tu penses que les personnes diplomates sont de meilleures personnes que les personnes bourrues et que tu as le droit d’en faire un critère d’évaluation en entretien alors ça va se sentir. C’est là qu’on va commencer à te mentir.
Il faut être capable de dire je n’aime pas les personnes brutes de décoffrage mais ça n’est pas un critère lié à la culture.
Il faut pouvoir penser : le problème ce n’est pas si j’aime ou pas ces personnalité mais bien que ça n’est pas compatible avec notre culture. Ça ne remet absolument pas en question les compétences de la personne : dans une autre entreprise ça fonctionnera.
Tu auras alors moins de personnes tentées de te mentir.
Encore faut-il connaître ses critères
Bien entendu, tout ça demande d’avoir des critères préalablement définis. Donc de ne pas faire d’entretien au feeling. En effet, si tu ne sais pas ce que tu évalues tu auras l’instinct de revenir au feeling et donc au jugement.
C’est normal.
Heureusement, ça se corrige. Avec une méthodologie.
La méthode de l’entretien structuré, par exemple. Mais ce n’est pas mon sujet aujourd’hui. Si tu veux aller plus loin sur le sujet :
Mais, on peut prendre le temps de s’attarder sur une facette de la méthode : apprendre à distinguer les observations et les interprétations.
Fait ou interprétation ? Quelques exemples tirés du livre l’entrevue structurée
Si je dis le candidat répond correctement à la question. Suis-je dans l’interprétation ou l’observation ?
Si tu as répondu “l’observation”, félicitations tu as répondu comme moi quand j’ai fait l’exercice pour la première fois. On est ensemble. Par contre… c’est la mauvaise réponse. Parce que le correctement est déjà un début de jugement. Qu’est-ce que ça veut dire correctement dans un entretien ?
Si je dis la candidate a obtenu son bac. Suis-je dans l’interprétation ou l’observation ?
Si tu as encore répondu “l’observation”, félicitations tu as répondu comme moi quand j’ai fait l’exercice pour la première fois. On est ensemble. Et cette fois, en plus, c’est la bonne réponse.
Si je dis le candidat est nerveux et manque d’assurance… Suis-je dans l’interprétation ou l’observation ?
Cette fois-ci, je suis encore dans l’interprétation. L’observation pourrait être le candidat avait la voix qui tremble et hésitait sur certaines réponses. L’interprétation semble alors légitime mais on a besoin de l’appuyer avec les faits observés.
Si je dis la candidate réfléchit avant de répondre. Suis-je dans l’interprétation ou l’observation ?
Ici on est toujours dans l’interprétation. L’observation pourrait être la candidate prenait quelques instants de silence avant de répondre. Sauf qu’on pourrait très bien interpréter ça comme de la nervosité ou comme l’envie de maîtriser ses propos.
De la même manière, dire le candidat répond franchement est une interprétation. On ne peut jamais savoir si quelqu’un est franc. Tout ce qu’on peut observer ce sont des indices.
Je te partage ces exemples pour te montrer à quel point l’interprétation se cache dans des choses qui ressemblent à des observations. Les exemples sont plus subtils. À la différence de ceux que j’ai pris au début qui sont plus grossiers. Ça montre tout le travail qu’on doit faire pour réussir à s’en tenir aux faits.
Une liste pense-bête pour savoir si je suis dans le jugement
Voici une liste non exhaustive que j’utilise pour savoir si je suis en train de produire un jugement ou une évaluation. Dix points qui sont des indices que je suis dans le jugement :
- Je ne peux pas partager ce que je pense à la personne en face
- Ce n’est pas un indice infaillible mais ça reste un indice solide. Si je ne peux pas faire le feedback à la personne comme je le fais à mes collègues, il y a un souci.
- Les mots “ça ne se fait pas” ou une variante me viennent à l’esprit
- L’entretien n’est pas le lieu pour s’affronter sur les bonnes manières. Surtout que le concept change énormément selon la culture, même régionale. Certains comportements banals à Paris seront vus comme très malpolis à Lille.
- Je me dis “elle pourrait faire un effort” ou une variante. Par exemple “quand même, avec le taux de chômage, comment ça se fait qu’elle ne lise pas mon site web”
- Cette notion d’effort est souvent une forme légère d’abus de pouvoir. Je profite de ma position pour dire que je veux que les gens démontrent leur “motivation” mais en vrai c’est indirectement leur désespoir que je veux voir.
- Je suis dans le vocabulaire de l’infantilisation. Par exemple “les candidats sont des divas” (parce qu’on pense “enfants gâtés”)
- Là encore, il s’agit d’une forme légère de l’abus de pouvoir. Je me vexe parce que je n’ai plus la position de puissance. En oubliant que, si j’étais à la place des personnes je ferais pareil. Les postes sur lesquels on dit qu’il y a des divas, sont ceux où il y a une pénurie. On a donc des candidats et des candidates qui ont davantage d’exigence. C’est bien normal et humain. Tout le monde en ferait de même. Mais ça nous vexe car on n’a pas l’habitude que le rapport de force soit équilibré, voire inversé.
- J’ai même carrément entendu des recruteurs sur ce type de profils me dire qu’il fallait garder sa dignité. Je ne vais quand même pas relancer : ça veut dire que je m’abaisse. Alors qu’on parlait de faire une seule relance par email. Pas deux, pas trois : une seule.
- J’analyse des éléments qui sont non-verbaux. Au lieu de creuser directement avec la personne pour qu’elle verbalise ce que je crois observer avec mon talent de mentaliste.
- Je ne peux pas le dire assez : le non-verbal est un élément bien trop complexe à prendre en compte. D’ailleurs ça mériterait un article à part entière : tirer des conclusions sur le non-verbal est un exercice qui ressemble plus à la grapholologie qu’à autre chose. Je suis toujours étonné de voir le nombre de personnes qui trouvent évident que la graphologie n’est pas pertinente mais qui, en revanche, utilisent ce qu’on appelle la synergologie (décoder le non-verbal) qui a pourtant été tout autant réfutée par la science.
- Il faut faire le deuil de ce fantasme : nous ne sommes pas capables d’interpréter le non-verbal avec fiabilité. Sinon tous les jugements au tribunal seraient fiables.
- Je ressens une pointe de plaisir de supériorité morale
- Si je ressens en moi un plaisir coupable de supériorité, je suis en train de juger et non pas d’évaluer. Quand on est dans l’évaluation simple, l’émotion est neutre. Ou alors c’est de la compassion, de l’empathie.
- Je me dis moi j’en ai bavé donc les autres aussi doivent en baver. Ou une variante.
- Ce que j’ai appelé l’effet bizutage. C’est terrible car c’est un effet largement étudié : la rationalisation a posteriori. Nous vivons une injustice et, pour maintenir notre estime de nous-même, nous finissons par dire que ce n’était pas une injustice et que c’était légitime. J’ai vu tellement de camarades de classes outrés par le bizutage en première année d’école de commerce et qui, dès la seconde année, m’ont expliqué que finalement ça permettait d’évaluer la résistance au stress et que c’est important pour la suite…
- Je fais l’erreur fondamentale d’attribution.
- L’erreur fondamentale d’attribution est un des biais les plus étudiés en sciences sociales. Il s’agit du fait de surestimer les causes internes au détriment des causes externes. Par exemple, on voit quelqu’un de stressé et on pense que la personne est de nature stressée plutôt que de se demander ce qui dans l’environnement est en train de la stresser.
- Ou alors on voit des gens au chômage et on se dit qu’ils ne cherchent pas assez voire qu’ils sont fainéants plutôt que de nous demander s’il n’y a pas plutôt un chômage structurel de masse.
- J’ai eu besoin de dissimuler mes intentions pour piéger l’autre voire même carrément de me cacher physiquement pour l’observer à son insu
- La meilleure manière d’évaluer quelqu’un est de lui faire savoir que c’est une évaluation. Déjà pour des raisons de confiance. Si vous évaluez quelqu’un par surprise vous entamez la confiance entre vous. C’est une très mauvaise manière de commencer une relation, sachant que la personne pourrait devenir votre collègue.
- Ensuite, souvent on veut se cacher parce que précisément c’est un jugement moral qu’on porte et non une évaluation.
- J’utilise la notion de mérite ou une variante
- Là encore une variation de l’abus léger de pouvoir. Nous ne sommes pas là pour dire qui mérite ou pas de travailler. Ce n’est pas à nous de dire si demander un salaire donné c’est mérité. Nous sommes là pour dire si ce salaire est possible ou non chez nous. La notion de mérite ne relève pas de notre champ d’expertise.
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Sources :
L’entrevue structurée