Qui croit encore que le recrutement est RH ?
Je n’ai jamais compris et je ne comprends toujours pas pourquoi le recrutement fait partie des Ressources Humaines. J’ai déjà eu l’occasion de vous poser la question dans la question bête du lundi, du programme Une Saveur de Recrutement par jour.
D’ailleurs c’est un des sujets qui vous avait fait le plus réagir. La plupart d’entre vous pour pousser des cris de libération du type : « aaaaaaaaaaah mais je ne suis pas folle en fait ! » et d’autres pour me dire que je racontais n’importe quoi. Du coup j’avais envie de rentrer de reprendre ce sujet pour le détailler.
Est-ce qu’il y a vraiment une raison de mettre le recrutement avec les RH ?
Quel est le rapport entre les deux ?
Il y a une confusion historique entre les deux fonctions. Si bien que si vous parlez à quelqu’un de lambda il ne fera pas de distinction entre RH et recrutement. Mais ce qui est marrant c’est que quand il va penser RH, il va penser uniquement au recrutement. Par exemple, j’ai beau écrire uniquement sur le recrutement, la plupart des mes amis me présentent spontanément comme écrivant sur les RH.
Je ne faisais moi-même pas la différence avant de rejoindre le secteur. Alors que pourtant il existe une division historique et profonde entre les disciplines. La première fois que j’ai entendu un élève en master RH exprimer tout son mépris pour le recrutement, j’ai compris que quelque chose clochait. De même, je ne compte plus le nombre d’élèves qui viennent me dire que leurs professeurs crachent en permanence sur le recrutement.
Le recrutement étant vu comme une fonction bas de gamme et ingrate, sans noblesse. Un marche-pied avant de faire des RH sérieuses. Et cela ne concerne pas que le monde académique. Je crois régulièrement des professionnels des RH qui ont un mépris ouvert pour la fonction recrutement. Dans la même idée, ils sont également nombreux à voir le recrutement comme une corvée de leur fiche de poste. Et, à l’inverse, je croise des recruteurs passionnés qui se désespèrent de pouvoir s’épanouir car on leur a dit « le recrutement ça enferme ».
La division historique se fait entre les fonctions administratives et juridiques de la RH et les fonctions qui concourent à l’attraction et la gestion des talents. J’appelle cette fonction « le recrutement » par abus de langage mais en vérité il faudrait une expression plus large comme « la direction des talents » qui réunirait à la fois le recrutement, le marketing employeur, l’intégration et la formation. Au passage, une grande partie des fonctions administratives auraient pu être confiée à la direction administrative et financière.
J’en profite au passage pour demander qui a inventé l’horrible nom de la fonction RH ? Les RESSOURCES Humaines ? Vraiment ? C’est probablement une des expressions les plus hideuses du monde de l’entreprise quand on y réfléchit bien. Y’a-t-il une expression plus anti-humaine que « RESSOURCES Humaines » ? Mais passons : l’article sur la langue de bois c’était la semaine dernière…
Les compétences de l’une ne sont pas compatibles avec les compétences de l’autre
Au final, les compétences que l’on demande aux professionnels des RH sont en contradiction totale avec les compétences que l’on demande aux professionnels du recrutement. Ce qui est logique en même temps. Les personnes qui aiment le côté recrutement vont naturellement détester le côté administratif de la gestion de paie. De la même manière qu’on attend pas d’un ingénieur informatique qu’il soit un bon commercial.
Pire encore, j’ai rarement rencontré de specimens qui aiment les deux côtés à la fois. En général on a toujours un fort tropisme pour un côté ou l’autre. Si bien que j’ai malheureusement rencontré très très peu de recruteurs. Vous avez bien lu : mon métier c’est de former des recruteurs, je passe mon temps dans ce milieu mais j’ai rencontré très peu de recruteurs. D’ailleurs ça se voit à la qualité des annonces. En fait, la plupart des gens que je rencontre sont des RH qui font du recrutement. Et la différence est énorme.
(Je vous en avais déjà parlé ici : https://lecoledurecrutement.fr/etes-vous-vraiment-recruteur/)
Au final, beaucoup des meilleurs recruteurs que j’ai croisé, n’ont absolument pas une formation ou un parcours RH. Ce sont des autodidactes, des psychologues, des commerciaux, des anciens avocats et tous ces parcours où l’on est obligé d’apprendre à comprendre le comportement humain et les ressorts de la conviction. Attention : je ne suis pas en train de dire qu’on ne peut pas être un bon recruteur en ayant un parcours RH. Mais même chez ce type de recruteur (c’est le cas de Marion par exemple), j’observe presque tout le temps une grande répulsion pour les disciplines RH.
Les RH qui font du recrutement sont très faciles à reconnaître. Généralement ils trouvent que le recrutement (ou le sourcing ce qui revient au même) est chronophage. Ce sont eux qui écrivent les annonces comme on écrit une fiche de poste, c’est-à-dire de manière froide, inhumaine, robotique et administrative. Et on ne peut pas leur en vouloir : inconsciemment ils ne considèrent pas que le recrutement est leur métier. C’est une corvée et ils n’ont pas le temps de s’y consacrer. D’autant plus que cette perception de corvée peut vite se dissiper. Au final, l’immense majorité ignore complètement la discipline du recrutement. Et il suffit d’une journée de formation pour que leur avis change. Un des retours que j’ai le plus souvent en formation c’est :
Ah mais c’est un vrai métier en fait ! Je ne pensais pas. On dirait une enquête policière. Ça me confirme que je n’aurais jamais le temps d’en faire. Mais au moins maintenant je comprends ce qui est intéressant quand on fait autre chose que de poster des annonces et attendre.
On ne peut d’autant pas en vouloir aux gens que toutes les formations RH sont orientées vers les fonctions administratives. Quand vous regardez les volumes horaires accordés à la gestion de la paie, le droit du travail, etc, vous comprenez que la plupart des gens n’ont jamais eu le droit à une formation en recrutement. C’est d’ailleurs pour ça que nous nous levons le matin chez Link Humans, parce que l’on croit profondément que le recrutement mérite son école.
Et, que l’on soit clair, je ne suis pas en train de dire que les professionnels des RH n’ont pas leur place dans le recrutement. Au contraire ! Plus on est de fous plus on rit ! Simplement il faut d’abord désapprendre les réflexes administratifs pour pouvoir acquérir des réflexes commerciaux.
Sinon, quelqu’un dont le quotidien et les compétences sont administratifs va se comporter dans le recrutement de manière administrative. Et c’est normal. Vous savez désormais pourquoi la plupart des annonces ressemblent aux lettres que vous envoient les impôts : le même ton froid et désincarné, le même vide de sens, propre aux administrations.
Pour une direction du recrutement indépendante de la DRH
Si cela ne tenait qu’à moi, on créerait une direction du recrutement indépendante dans chaque entreprise. J’en appelle à une déclaration d’indépendance du recrutement, comme les Etats-Unis face au Royaume-Uni.
Au final, je retrouve bien plus de points communs entre un recruteur et un commercial, qu’entre un recruteur et un RH. Je retrouve bien plus de points communs entre un recruteur et quelqu’un du marketing, qu’entre un recruteur et un RH. Je vois bien plus en quoi quelqu’un qui a fait des études de psychologie est préparé à faire du recrutement par rapport à quelqu’un qui a étudié la gestion de la paie.
Et j’ai découvert une lueur d’espoir très récemment : j’ai été chez Fiducial. Là-bas on m’a expliqué qu’il y avait une direction du recrutement totalement indépendante de la DRH et qui reportait directement à la direction générale. Et on ne parle pas d’une PME. Fiducial c’est plus de 15 000 personnes. Pourquoi le préciser ? Car une des objections que j’ai entendu le plus souvent c’est : ça ne peut pas fonctionner à l’échelle d’une grande entreprise.
L’autre lueur d’espoir que j’aperçois dans quelques entreprises du CAC 40 : l’émergence de véritables structures dédiées au recrutement. Comme les cabinets de recrutement internes ou l’espace emploi de Carrefour (qui est réellement inspirant). Encore une fois, on parle bien là de grandes entreprises qui ont enclenché ce mouvement de l’autonomie du recrutement, d’une manière ou d’un autre.
Conclusion
Avant d’avoir une direction du recrutement il faudrait déjà avoir une école du recrutement. Afin que la fonction soit reconnue comme une vraie expertise, non seulement dans l’entreprise mais dans la société en général. Et ça…c’est ce qu’on essaie de faire avec LEDR Pro aujourd’hui, peut-être une vraie école demain.
Nous ne sommes d’ailleurs pas seuls dans ce mouvement. Je croise de plus en plus de « militants » et « militantes » qui corrigent systématiquement leur interlocuteur quand il dit « RH » à la place de recruteur.
Et vous ? De quel côté êtes-vous ? Du côté de l’union des disciplines ou de celui de l’autonomie du recrutement ?